"La peine de mort doit être abolie et les exécutions doivent être empêchées". François Hollande a explicitement demandé jeudi à l'Arabie Saoudite de renoncer à l'exécution d'Ali al-Nimr, jeune chiite Saoudien de 21 ans, condamné à mort, à la crucifixion et à la putréfaction en place publique pour avoir participé à des manifestations lorsqu'il avait 17 ans. Même son de cloche du côté du Quai d'Orsay, qui n'hésite pas à condamner son allié arabe. Mais l'exécutif ne pourrait-il pas en faire davantage ?
Dans l'opposition, droite et gauche sont unanimes : François Hollande ne va pas assez loin pour empêcher le drame. Et de nombreuses voix s'élèvent pour demander à la France de compromettre ses relations avec l'Etat sunnite, son partenaire dans de nombreux domaines. Mais même dans l'opposition, on reconnait aussi (parfois) qu'il n'est pas si facile de mettre la pression sur Ryad.
"Horreur et barbarie". De droite à gauche, la condamnation de cette mise à mort est unanime. "En 2015 on va décapiter et crucifier un homme de 21 ans parce qu'il est un opposant politique! Dénonçons la barbarie d'où qu'elle vienne", a ainsi réagi Alain Juppé (Les Républicain) dans un tweet. Et nombreux sont ceux qui demandent à la France plus de virulence. "On entend François Hollande parler de ses valeurs avec son air, là, grandiloquent. J'ai l'impression que ses valeurs sont à géométrie variable", a renchéri Florian Philippot, vice-président du FN, pourtant partisan de la peine de mort, sur BFMTV. "Cette attitude avilit l'image de la France sur la scène internationale", estime de son côté l'écologiste Julien Bayou.
En 2015 on va décapiter et crucifier un homme de 21ans parce qu'il est un opposant politique! Dénonçons la barbarie d'où qu'elle vienne.
— Alain Juppé (@alainjuppe) 23 Septembre 2015
"Réexaminer nos relations " avec Ryad… Certaines voix vont même jusqu'à émettre des exigences précises. Le Parti de gauche demande ainsi à "François Hollande qu'il intervienne fermement auprès de l'Arabie saoudite pour arrêter cette barbarie". Le parti de Jean-Luc Mélenchon exige que Paris "demande à l'ONU que ce pays ne puisse plus présider la commission des droits de l'homme". L'ancien ministre des Affaires européennes, Bruno Le Maire, demande également dans une question écrite à Laurent Fabius "de réexaminer nos relations avec l'Arabie Saoudite, de clarifier les choix stratégiques faits par ses partenaires et de réévaluer les options stratégiques de la France dans la région".
… Ce n'est pas si simple. Pourtant, la France refuse pour l'heure de brandir la menace d'un conflit avec Ryad ou même d'un "réexamen" de leur relation. Et pour cause : l'Arabie Saoudite est un partenaire important. Militairement, d'abord, dans la lutte contre le terrorisme et Daech. Economiquement, ensuite : la France est en discussion pour vendre l'équivalent de "plusieurs dizaines de milliards d'euros" de matériel militaire, d'infrastructures ou de centrales nucléaires. Culturellement, enfin, comme le rappelait Jack Lang, invité lundi d'Europe 1, pour qui c'est dans le partenariat que l'on pourra influencer Ryad.
"L'accueil en France, par exemple, d'étudiants saoudiens, peut faire avancer les choses. Je réprouve avec autant de forces ces actes cruels et insupportables (commis par Ryad ndlr) que je crois au mouvement qui est enclenché aujourd'hui avec l'Arabie Saoudite, par les échanges culturels, par la venue d'étudiants et de chercheurs en France, par l'organisation d’événements, par l'installation d'infrastructures", a défendu le président de l'Institut du monde arabe.
Quelques aveux à droite. Même dans l'opposition, cette notion de "realpolitik" n'est pas niée. Quitte à parfois jouer le grand écart dans les réactions. Le député (LR) Philippe Gosselin dénonce ainsi un "silence insupportable" de la France… mais "comprend pour une part la realpolitik de la France qui a besoin de l'Arabie Saoudite comme allié". Faire la leçon "seul, c'est s'isoler pour rien", enchaîne-t-il.
"La simple suspension de l'exécution d'Ali Mohammed al-Nimr, demandée par Paris, est dramatiquement insuffisante. Il faut l'empêcher!", s'insurge également auprès du Figaro Rama Yade, (UDI), ancienne secrétaire d'Etat aux droits de l'homme, qui reconnaît également qu'il "est difficile" d'être ferme "quand la realpolitik domine tout. J'en ai fait l'expérience". Et l'ancienne membre du gouvernement Sarkozy de conclure : "avec la droite au pouvoir, la dénonciation ne se serait pas faite dans la sérénité la plus totale".