Dimanche soir, la déconvenue de la France insoumise est allée croissante avec l'annonce des scores des européennes. "Ces résultats sont décevants", a admis Manon Aubry d'abord, alors que la formation était donnée au coude à coude avec le Parti socialiste, pour finalement finir juste devant, à 6,31% des suffrages. Un peu plus tard, lui aussi à la tribune, Jean-Luc Mélenchon a confirmé : "très décevant". Le député du Nord Adrien Quatennens s'est chargé d'enfoncer le dernier clou sur France 2 : "extrêmement décevant".
Un électorat démobilisé
Si la France insoumise a finalement coiffé au poteau la liste Place Publique-Parti socialiste de Raphaël Glucksmann, sa cinquième position ne peut qu'être une désillusion. Sans même parler de tutoyer les 20% de suffrages obtenus par Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle, LFI espérait atteindre les 11% récoltés aux législatives. En vain.
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Que s'est-il passé ? La démobilisation, d'abord. "Traditionnellement, nous avons du mal à mobiliser au moment des européennes", analyse le député Eric Coquerel au micro d'Europe 1. "Notre électorat ne s'est pas mobilisé comme on le souhaitait." De fait, selon un sondage réalisé avant les européennes, 57% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon en 2017 prévoyaient de s'abstenir dimanche.
"L'Europe n'était pas au centre de leur campagne"
Mais ce n'est pas tout. À demi-mot, Manuel Bompard, deuxième sur la liste derrière Manon Aubry, reconnaît n'avoir pas su convaincre sur le thème de l'écologie, pourtant prépondérant dans le programme insoumis depuis deux ans, et qui aurait pu payer aux européennes, comme l'a montré le score élevé (et surprise) de Yannick Jadot. "Je crois qu'on n'a pas réussi à convaincre que le bulletin de vote de la France insoumise pouvait être aussi celui d'une écologie cohérente et populaire", explique-t-il à Europe 1.
" C'est l'Europe en tant que telle qui a surgi sur la scène européenne, et ça, la France insoumise l'a manqué. "
Pour Loïc Azoulai, professeur à l'École de Droit de Sciences Po, LFI a aussi fait une erreur stratégique importante ces dernières semaines. "Ce qui s'est joué, le taux de participation le montre, c'est une forme de politisation d'un type nouveau. C'est l'Europe en tant que telle qui a surgi sur la scène européenne, et ça, la France insoumise l'a manqué. L'Europe n'était pas au centre de leur campagne." Au contraire, Manon Aubry, puis Jean-Luc Mélenchon lui-même, très impliqué personnellement dans les derniers jours, ont joué à plein le référendum anti-Macron et souvent circonscrit les enjeux de la campagne aux frontières nationales.
Un coup d'arrêt à la "fédération populaire" ?
Pour Jean-Luc Mélenchon, ce revers appelle l'introspection. D'abord au regard des multiples "crises" que LFI a connues ces derniers mois, de la perquisition à son domicile et au siège du mouvement en octobre dernier jusqu'à l'incapacité de la formation à capitaliser sur la colère des "gilets jaunes". En passant par les démissions en chaîne, celle de plusieurs orateurs nationaux à l'automne, puis de Thomas Guénolé en avril. Les premiers, écartés de la liste des européennes, comme le politologue, qui y figurait bien, avaient claqué la porte en dénonçant un mouvement verrouillé et un leader dictatorial, peu enclin à faire vivre la démocratie interne.
Mais l'échec de dimanche remet aussi en cause l'envie de rassemblement qu'avait exprimée Jean-Luc Mélenchon dans Libération en avril dernier. "Je lance un appel à la création d'une fédération populaire", avait-il dit alors. "Je ne crois plus à l'ancien modèle de rassemblement des organisations. Nous devons certes nous rassembler, mais au service d'une tâche en commun : fédérer le peuple, réunir ses revendications, en faire un programme compatible avec l'impératif écologique et social."
Plus de divergences que de convergences
Difficile de savoir aujourd'hui à quoi pourrait ressembler cette fédération, et surtout avec qui elle pourrait se faire. Avec EELV, arrivé troisième et grand vainqueur des élections européennes, LFI a de gros points de divergence, notamment parce que les écologistes rejettent l'appellation de "gauche" et que Yannick Jadot a rappelé à plusieurs reprises qu'il n'était pas contre l'économie de marché. Avec le PS, un rapprochement semble tout aussi difficile tant les deux mouvements se sont étrillés pendant la campagne, la tête de liste Raphaël Glucksmann fustigeant une France insoumise populiste. Quant au PCF, la rupture semble consommée depuis la présidentielle, lorsque Jean-Luc Mélenchon a décidé de se lancer seul sans même avertir ses anciens alliés du Front de gauche.
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Puisqu'elle ne peut plus désormais faire valoir ses bons résultats électoraux pour se placer au centre du jeu de la co-construction à gauche, la France insoumise va donc devoir prendre à bras le corps les sujets de fond. Ce qu'admet dans les colonnes du Monde la députée Clémentine Autain, qui plaide pour "s'ouvrir sur la société, les citoyens, les syndicats, les intellectuels, les associations". Visiblement abattu dimanche soir, Jean-Luc Mélenchon a pourtant tenté d'apparaître toujours tourné vers le même objectif. "Notre pays s'enfonce dans une crise profonde", a-t-il déclaré. "Nous saurons assumer nos responsabilités, et j'invite à se fédérer tous ceux qui partagent cette volonté. C'est l'heure des combats et des caractères."