L'annonce mercredi soir de la démission de Yannick Morez intervient après l'incendie de ses véhicules et de la façade de sa maison fin mars, en lien avec un projet de transfert, près d'une école, d'un centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) déjà présent depuis 2016 dans cette ville de Loire-Atlantique de 14.400 habitants.
Le projet avait provoqué l'opposition d'un petit collectif de riverains, rejoints lors de manifestations par des partis et groupuscules d'extrême-droite.
L'Association des maires de France interpelle le gouvernement
Mercredi le maire, qui met en cause le "manque de soutien de l'Etat", a non seulement annoncé sa démission après quinze ans de conseil municipal, mais également son déménagement de la ville où ce médecin généraliste de profession vit depuis 32 ans. Dénonçant jeudi "une énième manifestation de la violence à laquelle doivent de plus en plus faire face les élus", l'Association des maires de France (AMF) a réclamé en urgence des réponses "à la hauteur des enjeux".
LIRE AUSSI - Démission du maire de Saint-Brévin : «très choquant» pour Borne, qui propose de le recevoir prochainement
"Il est honteux qu'un maire soit dans cette situation de refus de continuer à vivre dans la cité dont il a été le maire pendant tant d'années", a réagi auprès de l'AFP André Laignel (PS), premier vice-président de l'AMF, critiquant la "démission scandaleuse de l'Etat qui n'a pas été aux côtés de Yannick Morez", alors que c'est l'Etat lui-même qui décide des lieux d'implantation des Cada.
L'AMF, qui représente la quasi-totalité des élus locaux, interpelle depuis des mois le gouvernement sur les agressions d'élus, facteur déclencheur de démissions qui explosent selon elle à un niveau "jamais vu". Selon les chiffres officiels, les faits de violence physique ou verbale contre les élus ont augmenté de 32% en 2022 et 1.293 maires ont démissionné depuis 2020.
"Plus de retenue"
Saint-Brevin n'est pas un cas isolé. Des manifestations d'extrême-droite et menaces envers les élus ont eu raison du projet d'accueil de réfugiés de Callac, en Centre-Bretagne. À Belâbre, dans l'Indre, un projet d'installation de Cada de 38 places a également suscité un déferlement de haine.
"Ça fait des mois qu'on alerte sur les groupuscules d'extrême-droite qui font régner un terrorisme intellectuel et parfois physique sur les élus", souligne André Laignel, élu de l'Indre. Face au tollé, la ministre déléguée des Collectivités territoriales Dominique Faure a indiqué qu'elle dévoilerait la semaine prochaine "de nouveaux moyens pour prévenir et lutter contre les atteintes aux élus".
Mme Faure avait déjà annoncé mi-mars la création d'une "cellule d'analyse et de lutte" dédiée à la lutte contre les atteintes aux élus. Une mesure encore non suivie d'effets, selon l'AMF. Une loi promulguée en janvier permet par ailleurs aux associations d'élus de se constituer partie civile. "La réalité montre que rien ne s'arrange malgré ces avancées", juge Christophe Bouillon, président de l'Association des petites villes (APVF).
"Il n'y a plus de retenue. D'entrée de jeu, on arrive à une violence physique intolérable, à une dégradation de biens d'élus, à la menace sur des familles. On l'a vu sur la question des dépôts sauvages d'ordures, sur l'eau, sur l'urbanisme", assure-t-il.
Un phénomène d'usure de la part des élus locaux
"Nous faisons face à un torrent d'insultes et de fausses rumeurs qui peuvent circuler sur les réseaux sociaux", constate également Gil Avérous, président de Villes de France.
Les maires ruraux ne sont pas épargnés, selon Michel Fournier, président de l'AMRF, pour qui la violence envers les élus devient même "récurrente", avec une "progression énorme des démissions".
Interrogé par l'AFP, le politologue Pascal Perrineau reconnaît un phénomène d'usure des élus locaux "assez ancien", lié à une "lassitude des maires face à la complexité des dossiers et à une base électorale de plus en plus revendicative, hostile".
Quant à l'action de "minorités actives lors de conflits liés à l'immigration", elle témoigne selon lui d'une "polarisation des opinions publiques locales qui reflète ce qui se passe au plan national". Elle constitue aussi selon lui "l'un des symptômes de la fracture territoriale" avec des territoires périphériques "où le malaise est à la fois économique, social et identitaire".