Ils partirent 6, mais par un prompt renfort, se virent une quarantaine contre la loi El Khomri. Les "frondeurs", ces élus socialistes qui plaident pour un virage à gauche de la politique gouvernementale, peuvent désormais se féliciter de leur poids au Parlement. Par deux fois, sur la loi Macron en 2015 et sur la loi Travail cette semaine, ils ont contraint l'exécutif de dégainer l'article 49.3 en menaçant de ne pas voter un projet de loi. Reste à savoir s'ils pourront aller au bout de leur démarche.
Une petite quarantaine. Aujourd'hui, les frondeurs sont une petite quarantaine sur 286 membres du groupe socialiste à l'Assemblée (et apparentés). Ce nombre a quelque peu varié tout au long du quinquennat. Lors du vote sur l'accord national interprofessionnel (ANI), en 2013, 6 s'étaient prononcé contre et 35 s'étaient abstenus. Le budget 2015, soumis à l'approbation des élus fin 2014, avait également récolté 39 abstentions. En revanche, d'autres textes, notamment la loi renseignement (10 votes contre) et le budget 2016 (18 abstentions, 1 vote contre) ont moins mobilisé les frondeurs. Avant que l'exécutif n'impose le passage en force du projet, il manquait "30 à 40 voix" de la majorité sur la loi El Khomri, avait décompté le chef de file des députés PS, Bruno Le Roux.
Qui sont les leaders ? Les têtes d'affiche de la fronde sont bien connues et figuraient, derrière Christian Paul, sur la motion concurrente à celle de Jean-Christophe Cambadélis lors du Congrès du PS de Poitiers. Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann, Laurent Baumel, Pascal Cherki ou encore Gérard Filoche l'avaient signée. Lorsqu'ils ont été débarqués du gouvernement, fin août 2014, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti sont également venus grossir leur rang. S'ajoutent à ceux-là des aubrystes, comme Jean-Marc Germain et François Lamy, ou encore les signataires de la motion D du Congrès de Poitiers, Karine Berger et Yann Galut. S'ils ne sont pas des frondeurs "pur jus", ces députés rejoignent ponctuellement (et de plus en plus souvent) l'opposition à la ligne politique de l'exécutif.
Le journal Le Parisien a récemment établi un "baromètre de la loyauté" des députés PS, montrant qui, de ces frondeurs, sont les plus jusqu'au-boutistes. Le grand gagnant est Pascal Cherki, élu parisien, qui n'a voté que 44,74% des textes présentés par le gouvernement. Seul Pouria Amirshahi, député des Français de l'étranger, est plus frondeur encore (seulement 44,44% des textes gouvernementaux votés). Mais depuis mars 2016, celui-ci a rendu sa carte au PS.
La censure écartée. Mercredi, les frondeurs étaient bien décidés à montrer les muscles, menaçant le gouvernement de déposer une motion de censure de gauche après l'usage du 49.3 sur la loi Travail. Entre 25 et 30 d'entre eux s'étaient réunis le matin même pour explorer toutes leurs options et compter leurs forces. Jusqu'au bout, les députés très remontés ont espéré pouvoir réunir les 58 élus nécessaires avant l'heure butoir, fixée à 16h35.
Laurent Baumel estime que les frondeurs sont suffisamment nombreux pour espérer réunir 57 députés d'ici 16h35. #DirectAN
— JeanBaptiste Daoulas (@jbdaoulas) 11 mai 2016
Ils ont finalement échoué, à un cheveu selon Laurent Baumel. "Au moins, on aura essayé de faire quelque chose", a déclaré celui-ci à la presse.
En réponse au coup de force sur la #loitravail : 56 signatures de toutes les formations" politiques de gauche et écologistes" #493 #DirectAN
— Laurent Baumel (@laurentbaumel) 11 mai 2016
Il reste cependant une option pour les frondeurs : rallier la motion de censure déjà déposée par Les Républicains et l'UDI. C'est ce que les communistes ont prévu de faire en cas d'échec de la motion de gauche. Chez les socialistes, en revanche, voter avec l'opposition semble inenvisageable. "Quand je regarde les programmes de la droite, je n'ai même pas envie du tout, au fond, de joindre ma voix" à celles de ses députés, a ainsi déclaré Christian Paul, mercredi, sur Europe 1. Benoît Hamon et Pascal Cherki l'ont rejoint sur ce point.
Se plier au 49.3. Le dernier choix est celui d'un départ du PS, à l'image de ce qu'a fait Pouria Amirshahi, et Philippe Noguès avant lui. Difficile, car cela signifierait renoncer à l'investiture socialiste pour les législatives de 2017, et donc compromettre sa réélection. Or, en cas de défaite de la gauche à l'élection présidentielle, garder sa circonscription pour siéger dans l'opposition reste l'un des seuls moyens de continuer d'exister politiquement pour les socialistes. "C’est mal engagé leur affaire" estime un responsable socialiste dans les colonnes de Libération. "La vie est longue en politique. Et certains ont des circonscriptions à sauver, à négocier…" Il est donc fort à parier que les frondeurs n'auront d'autre choix que de se plier au 49.3.