La forme, autant que le fond, suscite la polémique. Le gouvernement a annoncé samedi une baisse des Aides personnalisées au logement (APL) de cinq euros par mois et par foyer. Une annonce qui ne faisait pas partie des promesses de campagne d’Emmanuel Macron et de son parti, et qui intervient en plein cœur de l’été, un week-end, sans concertation préalable. Plus que la mesure elle-même, c’est le message qu’elle envoie qui alimente la critique. Les APL bénéficient en effet aux ménages les plus modestes. Et beaucoup s’inquiètent de la ligne future de l’exécutif concernant la lutte contre les inégalités.
"Les aides évoluent deux fois moins vite que les loyers et trois fois moins vite que les charges. L'aide au logement est celle qui lutte le plus contre l'exclusion et la pauvreté dans notre pays", déplore ainsi auprès de l’AFP le délégué général de la fondation Abbé-Pierre, Christophe Rober. "C'est un très mauvais signe fait par des technocrates qui ne mesurent pas ce que c'est que de vivre avec de petites ressources, à quel point cela a de l'impact sur les dépenses de santé, d'alimentation. Le coût du logement a flambé en quinze ans et pénalise durement les ménages les plus fragiles. Tout cela nous semble assez incohérent", enchaîne-t-il, avant de demander à être reçu par Emmanuel Macron pour lui expliquer "comment vivent les gens avec de petites ressources".
Pour le gouvernement, "il y a urgence" à réformer les APL. Après la polémique autour du budget des armées et la contestation de la loi Travail, le nouvel exécutif, dont la côte de popularité connaît une chute soudaine dans les sondages, se voit donc attaqué sur un nouveau front. Des syndicats de salariés (CGT et CFDT) aux fédérations étudiantes (Fage, Unef, PDE…) en passant par des associations caritatives, la contestation née ce week-end après l’annonce de la baisse des APL ne cesse de s’étendre. Mais le gouvernement n’en démord pas : en pleine préparation du prochain budget de l’Etat, il s'agit de faire des économies. Jeudi dernier, lors du débat d'orientation des finances publiques pour 2018, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, avait promis un "effort sans précédent" visant à réduire de trois points le poids des dépenses publiques d'ici à 2022, évoquant alors des baisses dans les dépenses de logement, de formation professionnelle et dans les aides sociales.
Avec la baisse des APL telle qu’annoncée samedi, l’exécutif peut espérer économiser près de 400 millions d’euros par an, selon les calculs de l’AFP. Aujourd’hui, les APL, accessibles sous conditions de ressources, bénéficient à 6,5 millions de Français, dont 800.000 étudiants. Mais le dispositif, qui coûte au total près de 18 milliards d’euros à l’Etat, n’est pas pérenne, assure-t-on du côté de l’exécutif. "On répond à une urgence. [...] Il manque 150 millions d'euros pour verser les APL d'ici la fin de l'année. [...] Pour celles et ceux qui en ont besoin, c'est une somme importante. Moi, je ne veux pas minorer cette somme-là (cinq euros). L'effort est réel, c'est pas une question de justice ou d'injustice, c'est surtout la nécessité de trouver des solutions pour faire en sorte qu'on puisse maintenir les APL", défend le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, sur RMC.
Souvent décrié pour son coût, le dispositif est également accusé de contribuer à la hausse des loyers. Jean-Noël Barrot, député de La République en marche! des Yvelines l'affirme à Europe 1 : "Quand on donne un euro d'APL à un foyer, entre 50 et 70 centimes partent dans des hausses de loyer". "Ces aides qui sont, ramenées à chaque personne, très faibles, viennent directement dans la poche du propriétaire", soutient également le député LR-UDI "Constructifs", Thierry Solère.
" La mesure sur les APL est aveugle et frappe les plus pauvres "
Cinq euros, "ça représente le pain pendant une semaine", rétorquent les opposants. Mais ces arguments sont loin de convaincre. Les opposants à la baisse des APL regrettent en effet une mesure purement comptable, préférée à une refonte globale du système qui aurait épargnée les plus précaires. Aujourd’hui, les APL sont calculées en fonction du montant de vos ressources, de votre loyer ou encore de votre situation conjugale. Mais le gouvernement a annoncé une baisse de cinq euros, quelle que soit la situation du bénéficiaire. Au-delà du symbole, les associations dénoncent donc une injustice aux conséquences bien réelles pour certains bénéficiaires. "Un allocataire du RSA bénéficiaire de l’APL touche 472 euros par mois. Une fois toutes ses dépenses courantes déduites, il ne lui reste que 58 euros pour se nourrir soit moins de deux euros par jour. Pour lui, 5 euros, c’est énorme", souligne Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde, citée par Libération.
Côté politique également, la mesure est loin de faire l’unanimité. "Cinq euros pour des budgets importants c'est de l'argent de poche, mais pour des publics qui gagnent moins de 1.000 euros par mois et qui sont visés par ces APL, ça représente par exemple le pain pendant une semaine", tacle ainsi sur RTL Olivier Faure, patron du groupe Nouvelle gauche à l’Assemblée. Le président UDI de Normandie, Hervé Morin, a regretté lui aussi sur France 2 une mesure qui "repose sur la mécanique du rabot", affirmant qu'"on a le sentiment que la gangue technocratique a déjà repris le dessus".
"Le rapprochement" est fait avec l’ISF. La critique est d’autant plus vive que cette annonce intervient quelques semaines après la confirmation par l’exécutif que la réforme de l’Impôt sur la fortune (ISF) se fera en 2018. Celle-ci prévoit de sortir de l’impôt le patrimoine financier et bénéficiera notamment aux détenteurs d’actions boursières. "La baisse des APL est une mesure générale aveugle et qui frappe en premier lieu les plus pauvres. Je ne peux pas ne pas faire le rapprochement avec d’autres mesures annoncées, comme celle de réduire l’impôt sur la fortune, qui va coûter plusieurs milliards d’euros. Cela est peut-être justifié dans le but de stimuler le dynamisme économique, mais il faut une politique équilibrée", dénonce dans Le Monde Louis Gallois, le président de la Fédération des acteurs de la solidarité – qui regroupe 850 associations et organismes d’aide aux plus démunis. Ce dernier attend du gouvernement qu’il "sorte de son silence et dise quelle est sa politique pour lutter contre la pauvreté. Cela fait deux mois qu’il est installé et nous ne savons toujours rien dans ce domaine : c’est un motif d’inquiétude".
Une mesure décidée sous François Hollande ? Pour tenter de clore la polémique, l’exécutif assure que la baisse des APL était déjà prévue par la précédente majorité. "La réalité c'est quoi ? C'est que le gouvernement [sous le mandat de François Hollande, NDLR] avait prévu cette mesure, on était à l'approche [de la séquence, NDLR] électorale, il ne l'a pas mise en oeuvre, mais par contre n'a pas mis les crédits en face", assure Christophe Castaner.
Une affirmation rigoureusement démentie par Emmanuelle Cosse (ancienne ministre du Logement) et Christian Eckert (ancien ministre du Budget). "Nous ne l'avons jamais envisagée. Jamais. Je suis formel. Elle ne nous semblait pas juste", a déclaré dimanche Christian Eckert dans un entretien au Parisien. Comme le note Le Lab, en effet, le décret paru le 16 octobre 2016 prévoyait une baisse des APL concernant uniquement les foyers… dont le patrimoine est supérieur à 30.000 euros. La mesure devait entrer en vigueur en octobre prochain. Ce sera finalement la mesure du nouvel exécutif qui sera effective à cette date.