François Bayrou succède à Michel Barnier : pour le maire de Pau, le plus dur commence
Jacques Serais
Emmanuel Macron a nommé François Bayrou Premier ministre, un défi immense pour le président du MoDem et premier allié du président, chargé de dénouer la crise politique majeure ouverte par la dissolution et aggravée par la censure de Michel Barnier.
Il se dit devant "un Himalaya de difficultés" : après d'intenses tractations, François Bayrou a été nommé vendredi à Matignon par Emmanuel Macron, mais le plus dur débute alors que le pays reste englué dans une crise politique majeure et peine à se doter d'un budget. Depuis la cour de Matignon, aux côtés de son prédécesseur Michel Barnier, resté trois mois en poste avant d'être renversé, François Bayrou l'a assuré : "Nul plus que moi ne connaît la difficulté de la situation".
La dette et les déficits d'abord
Au cours de ses 10 minutes d'allocution lors de la traditionnelle passation de pouvoir, le patron du MoDem a répété ses mantras. La dette et les déficits d'abord, qu'il avait placés au cœur de sa campagne présidentielle en 2007, "une question qui pose un problème moral, pas un problème financier seulement", a-t-il dit, alors que la France a atteint des records en la matière en 2024.
Autres promesses, s'attaquer au "mur de verre qui s'est construit entre les citoyens et le pouvoir", et surtout "rendre des chances à ceux qui n'en ont pas". "Un devoir sacré", a lancé François Bayrou, rappelant qu'il s'agissait là d'une promesse originelle d'Emmanuel Macron, en 2017.
Un temps où les deux hommes venaient de sceller leur alliance. Celle-ci aurait pu voler en éclats vendredi tant la nomination de François Bayrou a tardé alors que les coulisses bruissaient de rumeurs contradictoires. La décision n'a été finalement acquise qu'au prix d'un bras de fer joué en deux temps vendredi matin.
D'abord un entretien de près de deux heures, durant lequel Emmanuel Macron aurait d'abord signifié à son plus ancien allié son intention de nommer le ministre des Armées Sébastien Lecornu, selon plusieurs sources au sein du camp présidentiel. Colère de François Bayrou, menaces de rupture, quitte à "brûler les vaisseaux", selon une fidèle du chef de l'Etat, et revirement d'Emmanuel Macron qui a officialisé sa décision à la mi-journée.
Il doit maintenant s'atteler sans tarder à la composition de son gouvernement
À 73 ans, comme son prédécesseur Michel Barnier, renversé le 4 décembre par l'Assemblée nationale lors d'une censure inédite depuis 1962, François Bayrou devient le sixième locataire de Matignon depuis la première élection d'Emmanuel Macron en 2017. Il doit maintenant s'atteler sans tarder à la composition de son gouvernement, qu'il veut compact et dominé par des personnalités d'expérience. Car une tâche redoutable attend rue de Varenne le maire de Pau. Avec pour priorité le budget pour 2025, laissé en suspens par la censure. En attendant, un projet consensuel de loi spéciale permettant d'éviter une paralysie de l'État sera examiné lundi par l'Assemblée nationale.
Cette nomination intervient trois jours après une réunion inédite des dirigeants des partis, hors Rassemblement national et La France insoumise, sous l'égide du chef de l'État. Où se sont esquissés les contours d'un "accord de coopération démocratique", selon la formule de François Bayrou mardi : le gouvernement s'engagerait à ne pas recourir au 49.3 pour imposer ses lois, les opposants à ne pas le censurer, Emmanuel Macron évoquant de son côté son intention de ne pas dissoudre à nouveau l'Assemblée nationale.
Le nouveau Premier ministre, qui "s'est imposé" comme "le plus consensuel", "aura pour mission de dialoguer" avec ces mêmes partis, des communistes à la droite, "afin de trouver les conditions de la stabilité et de l'action", a déclaré l'entourage du président. Ce dernier l'a chargé de former un "gouvernement d'intérêt général", "resserré". Même si le centriste a régulièrement distillé des critiques contre la politique -trop à droite- et la pratique du pouvoir -trop personnelle- de son allié, ce ne sera donc pas une cohabitation, comme la gauche le réclame depuis les élections législatives.
Comme prévu, le Nouveau Front populaire ne participera pas à ce gouvernement. Mais il se divise sur le degré de critiques envers François Bayrou. LFI déposera ainsi dès que possible une motion de censure, son coordinateur Manuel Bompard qualifiant ce choix de "nouveau bras d'honneur à la démocratie".
Pour prix de leur non-censure, les socialistes demandent de leur côté à François Bayrou de s'engager à renoncer au 49.3 et de procéder à une "réorientation de la politique gouvernementale". Les communistes ont exprimé une position voisine. Entre les deux, la patronne des écologistes Marine Tondelier a listé ses exigences, dont la sortie du gouvernement de Bruno Retailleau.
"Pas de censure a priori" du RN
L'actuel ministre de l'Intérieur à la ligne très droitière doit s'entretenir dès vendredi soir avec François Bayrou à Matignon. Son parti, Les Républicains, a conditionné sa participation au gouvernement au "projet" que leur présentera le nouveau Premier ministre.
Côté RN, "il n'y aura pas de censure a priori", a dit son président Jordan Bardella, même si Marine Le Pen a prévenu qu'un "prolongement du macronisme" avec François Bayrou "ne pourrait mener qu'à l'impasse". C'est une arrivée à Matignon aux allures de consécration particulière pour le lointain ministre de l'Éducation (1993-1997) depuis longtemps tourné vers la plus haute fonction: inlassable défenseur d'un centre indépendant, François Bayrou a été trois fois candidat à l'élection présidentielle de 2002 à 2012, sans parvenir au second tour (18,57% en 2007).
Son alliance avec Emmanuel Macron en 2017 avait dégagé la voie pour l'élection du plus jeune président de l'histoire de France, porteur d'un "en même temps" droite-gauche en phase avec son projet politique. Mais le Béarnais, nommé ministre de la Justice, n'est resté que 34 jours place Vendôme en 2017, empêché par l'affaire des assistants parlementaires du MoDem, jugée en première instance sept ans plus tard, en février 2024. Si le parti a été lourdement condamné, François Bayrou a été relaxé, mais le parquet a fait appel.