On ne peut pas reprocher à Agnès Buzyn de ne pas s’y connaître en matière de santé. Celle qui défend à partir de mardi le projet de loi de finances de la Sécurité sociale (PLFSS) devant l’Assemblée nationale est tombée dans la médecine toute petite. Et rien, de fait, ne la disposait à une carrière politique, sinon des fonctions haut placées dans l’administration médicale. Nommée à la Santé parmi les ministres issues de la société civile en mai 2017, la voilà sur le devant de la scène, avec plusieurs dossiers sensibles sur les bras et le devoir de réduire le déficit de la Sécu à 2,2 milliards l’an prochain. Et face à des députés de l’opposition par essence remontés et bien décidés à ne pas lui faire de cadeaux.
"Je maîtrise mieux la parole technique que le verbe politique". La véritable entrée dans l’arène politique pourrait être brutale pour Agnès Buzyn. Car cette professeure réputée de 54 ans, spécialisée dans l’hématologie, n’est pas de ces grands fauves qui trustent les plateaux et cherchent à briller devant le micro. "Je maîtrise mieux la parole technique que le verbe politique ; forcément, ça s'apprend ; il faut du temps", concède celle qui, dans le JDD, assure préférer le "pouvoir de faire" aux "attributs du pouvoir".
Cette fille de chirurgien polonais, rescapé d’Auschwitz et installé en France en 1965, a tout de même des convictions à revendre. La lutte contre le tabac est de celles-là. A chacun des postes importants qu’elle a occupés - à la tête de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) d’abord, à celle de l’Institut national du cancer ensuite, à la Haute Autorité de Santé enfin - elle s’est battue pour une hausse du prix du paquet de cigarettes. Sans obtenir gain de cause. Ministre, elle a fait acter un prix à 10 euros à l’horizon 2020. Première grande victoire de la ministre Buzyn.
"Diminuer les inégalités sociales". Réputée à l’écoute et empathique, peu encline aux conflits, Agnès Buzyn va devoir forcer sa nature à l’Assemblée nationale pour gagner ses autres combats. Du PLFSS, riche de 57 articles, couvrant aussi bien la hausse de minimas sociaux que la baisse d’allocations familiale ou la hausse de la CSG, elle dit tout assumer. Persuadée, dit-elle dans le JDD, qu’il permettra d’abord "l'accès aux soins des plus fragiles". Cette fibre sociale est une autre de ses facettes. Et elle arrange bien le gouvernement, accusé après l’examen du volet recettes du Budget 2018, de favoriser les riches. "Je serai très fière si je suis capable, par mon action, de diminuer les inégalités sociales", assure-t-elle. Cela ne la protège en rien contre les attaques de la gauche dans l’hémicycle.
Cette rudesse politique, Agnès Buzyn l’a éprouvée dès sa nomination. "J’ai toujours été très respectée dans ma carrière et là, du jour au lendemain, on ne vous regarde plus avec l’envie de vous entendre, mais avec celle de vous faire chuter", explique-t-elle à Paris Match. Mais cette fille d’une psychologue reconnue, amie de François Dolto, a des armes pour tenir. Et un modèle en matière de ténacité, Simone Veil. Elle fut en effet sa belle-fille, puisqu’elle fut mariée en premières noces avec Pierre- François Veil, avec qui elle a deux enfants. "C'est une façon de faire de la politique que j'admire, sans compromis. Elle était guidée par ses convictions. C’est cette exemplarité là que je souhaite suivre", avait assuré sur Europe 1 la ministre de la Santé au moment de la mort de son emblématique devancière.
L’ombre du conflit d’intérêts. Seule ombre au tableau pour cette ministre très appréciée, dit-on, à l’Elysée : le potentiel conflit d’intérêt constitué par le poste de son mari, Yves Lévy, actuel patron de l’Inserm, l’Institut de la recherche médicale. Mais Emmanuel Macron, qui voulait un médecin à la Santé, a passé outre, et l’Inserm a changé de tutelle, passant de la Santé à Matignon – sans éteindre totalement la polémique. C’est qu’Agnès Buzyn, parfaitement au fait du fonctionnement du système de santé français, et riche d’expériences à la tête de hautes administrations médicales, cochait toutes les cases pour le poste. Ne reste que pour elle à faire ses preuves à l’Hémicycle, dans l’arène politique.