François Fillon a frappé fort, jeudi soir. Invité de l'Émission politique sur France 2, le candidat LR à l'élection présidentielle a accusé l'actuel chef de l'État d'être à l'origine des "affaires" qui le visent depuis la fin du mois de janvier, en s'appuyant sur le livre "Bienvenue Place Beauvau, Police : les secrets inavouables d'un quinquennat". Un ouvrage qui explique, selon lui, "que François Hollande fait remonter toutes les écoutes judiciaires qui l'intéressent à son bureau, ce qui est d'une illégalité totale, comment il est branché directement sur Bercy, sur Tracfin, sur les informations qui lui sont apportées en permanence, comment il est au courant des moindres faits, des moindres filatures, y compris concernant son ancien Premier ministre, Manuel Valls", assure le député de Paris. Et d'asséner : "On cherchait un cabinet noir, on l'a trouvé" - une information largement démentie, vendredi.
À l'origine, un service des postes. Depuis le début du quinquennat de François Hollande, plusieurs responsables politiques de droite ont déjà employé cette expression, dont les origines remontent au XVIIème siècle. "Sous l'Ancien Régime, on appelle "Cabinet noir" le service chargé d'examiner pour des raisons de sécurité les correspondances privées", peut-on lire sur le site du Comité pour l'Histoire de la Poste. En 1775, Louis XVI a déclaré l'inviolabilité des correspondances privées, sans parvenir à mettre fin à cet usage, "que la Révolution et Napoléon ainsi que les dirigeants politiques en période de guerre utiliseront largement", selon la même source.
" Toutes sortes de machinations et de coups foireux pour servir des intérêts politiques "
L'expression, à nouveau employée depuis le début des années 1990, ne recoupe aujourd'hui plus tout à fait la même réalité. "Ce sont des barbouzeries", explique à Europe1.fr le journaliste Guy Birenbaum, auteur d'un livre d'enquête sur le sujet (Le Cabinet Noir, Ed. Les Arènes), "une sorte de système organisé autour d'officiels et d'officieux, de représentants de la police mais aussi d'avocats ou de journalistes, qu'il est très difficile de relier directement au pouvoir mais qui organisent toutes sortes de machinations et de coups foireux pour servir des intérêts politiques".
"Balancer la rumeur". S'il a surtout travaillé sur le "système" établi autour de Jacques Chirac, Guy Birenbaum estime que de telles pratiques ont commencé bien avant le début des années 1990. "Ce n'est pas nouveau." Le journaliste cite l'exemple de l'arrestation d'Yvan Colonna, soupçonné d'avoir assassiné le préfet Erignac, en 2003. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, en avait tiré un certain crédit.
" Ils voulaient juste discréditer Sarkozy et servir Chirac. "
"À l'époque, j'étais éditeur", se souvient-il. "Il y a un journaliste et un ancien prisonnier, qui viennent me voir avec un 'scoop'. Ils m'expliquent que Colonna n'a pas été arrêté mais qu'il s'est rendu, et que c'est un coup monté pour faire mousser Sarkozy." Lorsque Guy Birenbaum demande à rencontrer la "source" de cette information, on lui présente Yves Bertrand, ancien patron des renseignements généraux - et bientôt soupçonné d'avoir fourni de faux listings dans la tentaculaire affaire Clearstream. Rapidement, il réalise que le "scoop" ne tient pas. "En fait, ils voulaient juste faire sortir un livre pour balancer la rumeur, discréditer Sarkozy et servir Chirac."
Squarcini et les journalistes. Où se trouvait ce "fameux cabinet" ? "Pas à l'Élysée, en tous cas", s'amuse Guy Birenbaum. "Il n'y avait évidemment pas un bureau avec marqué sur la porte 'cabinet noir'". Le système aurait perduré sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy - et de son Premier ministre François Fillon - qui aurait supervisé l'espionnage de journalistes grâce à l'un de ses proches, Bernard Squarcini, alors chef de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). En 2014, ce dernier a été reconnu coupable d'avoir réquisitionné illégalement les factures téléphoniques détaillées - "fadettes" - d'un journaliste du Monde qui travaillait sur l'affaire Bettencourt.
Selon le candidat LR à l'élection présidentielle, un tel "cabinet" serait donc toujours en place, pour protéger François Hollande. Mais l'information a été démentie par les auteurs de "Bienvenue Place Beauvau", dès jeudi soir. "La seule personne qui croit qu'il y a un cabinet noir à l'Élysée, c'est François Fillon. Il y croit tellement que le 24 juin 2014 (...) il est allé voir Jean-Pierre Jouyet, qui est le numéro 2 de l'Élysée, pour lui demander d'activer ce cabinet noir (fait nié par François Fillon, ndlr)", a expliqué l'un d'entre eux, Didier Hassoux, sur Franceinfo. "Nicolas Sarkozy avait (...) mis en place une police politique (...) alors que François Hollande a simplement instrumentalisé la police à des fins politiques, comme tous les présidents de la Vème République : c'est une maladie française."