"La véhémence polémique qui a suivi la 45ème cérémonie des César nous oblige, nous qui sommes tout à la fois femmes, avocates et pénalistes." Dans une tribune publiée dimanche dans Le Monde, 114 avocates pénalistes réagissent à la vive controverse qui a suivi la remise du prix de la meilleure réalisation à Roman Polanski pour son film J'accuse il y a dix jours, alors même que le cinéaste est accusé de viol.
Polanski "n'est pas coupable"
"On se pique d'avoir à le rappeler, mais aucune accusation n'est jamais la preuve de rien : il suffirait sinon d'asséner sa seule vérité pour prouver et condamner", réagissent ces avocates, issues de tous les barreaux de France. "Roman Polanski a fait l'objet de plusieurs accusations publiques, parmi lesquelles une seule plainte, qui n'a donné lieu à aucune poursuite : il n'est donc pas coupable", estime-t-elles, soulignant que Samantha Geimer, qui accuse le réalisateur de l'avoir violée quand elle avait 13 ans, demande que la procédure soit close.
"Il ne s'agit pas tant de croire ou de ne pas croire une plaignante que de s'astreindre à refuser toute force probatoire à la seule accusation : présumer de la bonne foi de toute femme victime de violences sexuelles reviendrait à sacraliser arbitrairement sa parole, en aucun cas à la 'libérer'", écrivent les signataires.
"Le doute doit obstinément profiter à l'accusé"
S'appuyant sur leur exercice, ces avocates affirment qu'il est "faux d'affirmer que l'ordre judiciaire ferait montre aujourd'hui de violence systémique à l'endroit des femmes, ou qu'il ne prendrait pas suffisamment en considération leur parole". "Nous constatons au contraire, quelle que soit notre place à l’audience, qu’une inquiétante et redoutable présomption de culpabilité s’invite trop souvent en matière d’infractions sexuelles. Ainsi devient-il de plus en plus difficile de faire respecter le principe, pourtant fondamental, selon lequel le doute doit obstinément profiter à l’accusé", écrivent-elles.
"Tweets après tweets, hashtags après hashtags, ce que nous sentons monter à de quoi alarmer tout authentique démocrate, et nous alarme d’autant plus que nous en percevons déjà les méfaits : le triomphe du tribunal de l’opinion publique", concluent celles qui se qualifient de "sopranos du barreau". "Nous sommes féministes mais ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme-là, qui érige une conflictualité de principe entre hommes et femmes."