Comment justifier sa démission quand on assure qu'il ne s'agit pas d'une démission ? Comment garder la tête haute quand on quitte un ministère régalien un mois seulement après en avoir pris la tête ? François Bayrou, ex-ministre de la Justice, s'est lancé dans cet exercice délicat mercredi après-midi, lors d'une conférence de presse. Après avoir annoncé le matin même son départ du gouvernement, celui qui est redevenu maire de Pau a expliqué que sa décision permettrait surtout de protéger l'exécutif et sa loi de moralisation.
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"Dénonciations anonymes" pour le "décrédibiliser". Le président du MoDem, dont le parti est visé par une enquête préliminaire notamment pour abus de confiance, a commencé par se défendre avec vigueur. "Nous n'avons jamais eu d'emplois fictifs", a-t-il martelé. "Je veux dire que j'ai pour le prouver une absolue confiance dans la justice." Rapidement, l'ancien garde des Sceaux s'est dit victime d'un complot. "J'imagine que c'est par hasard, mais dans le même temps [alors qu'il présentait sa loi de moralisation], une campagne basée sur des dénonciations anonymes s'est développée cherchant à accuser le MoDem", a-t-il ironisé. "Je n'ai aucun doute que, bien que mon nom n'ait jamais été cité dans cette enquête et pour cause, j'étais de ces dénonciations la véritable cible." Une manœuvre destinée, selon lui, à "décrédibiliser la parole du ministre qui devait porter" le texte sur la moralisation.
Point Godwin. "Il y a un certain nombre de forces et de puissances pour qui la moralisation serait un obstacle à leur lobby", a poursuivi François Bayrou, avant de se lancer dans un audacieux point Godwin. "Nous ne pouvons pas vivre dans une société de perpétuelle et universelle dénonciation. La France a été, à d'autres époques, le pays des lettres anonymes." L'agrégé de lettres classiques, s'en prenant aux réseaux sociaux et à la presse, en a profité pour placer une référence aux "sycophantes", délateurs professionnels de la Grèce antique.
Protéger l'exécutif… Surtout, François Bayrou a donné une dimension sacrificielle à son départ du gouvernement, qu'il refuse de qualifier de démission. "Cette situation exposait le président de la République et le gouvernement", a-t-il expliqué. L'ancien ministre de la Justice, qui s'est estimé pieds et poings liés par sa position, en a donc "tiré les conclusions". "Je choisis la liberté de jugement et de parole, de ne pas exposer le gouvernement et le président de la République à des campagnes mensongères." Il a assuré avoir proposé sa démission à Emmanuel Macron dès le 9 juin et l'ouverture de l'enquête contre le MoDem, sous-entendant que le chef de l'État l'avait refusée.
…et la loi de moralisation. Un départ constamment présenté comme un sacrifice pour protéger l'exécutif, mais aussi "préserver la loi sur la moralisation". François Bayrou n'a eu de cesse de vanter ce texte et de le présenter comme son œuvre, lui qui en avait fait la condition sine qua non de son ralliement à Emmanuel Macron avant le premier tour de la présidentielle. "On devinait bien que le débat [sur la loi] qui se prépare au Parlement allait se trouver détourné de son sens", a-t-il souligné.
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Victime et maître de la situation. Jusqu'au bout, François Bayrou aura voulu montrer l'image d'un homme à la fois victime et maître de la situation, assumant tout, jusqu'aux coups de téléphone passés à la rédaction de Radio France en pleine investigation sur les affaires du MoDem. "Toute remarque faite en privé est immédiatement regardée comme une pression, comme si la liberté de critique et de jugement était à sens unique et que le citoyen était obligé de subir certaines pratiques sans pouvoir formuler son désaccord", a-t-il déploré.
L'ancien garde des Sceaux s'est enfin attaché à se présenter, encore et toujours, comme un soutien indéfectible d'Emmanuel Macron, "fidèle à une entente politique et personnelle, à laquelle [il] attache du prix". Mais n'a pas oublié de lui adresser un message, estimant qu'il serait "logique" qu'il y ait de nouveau des représentants du MoDem dans le prochain gouvernement.