Certaines victoires ont goût de défaite. La qualification de Manuel Valls pour le second tour de la primaire de la gauche, dimanche soir, est de celles-là. Arrivé seulement en deuxième position, avec un peu plus de 31% des voix, derrière un Benoît Hamon qui culmine à plus de 36% -selon des chiffres toujours provisoires-, l'ex-Premier ministre a troqué son statut de favori du scrutin contre celui d'outsider.
"Je suis un combattant". Il ne lui reste que cinq petits jours de campagne pour inverser la tendance. Et c'est peu dire que Manuel Valls se montre déterminé, depuis dimanche soir, pour y parvenir. "Je suis un combattant, je ne lâche rien jusqu'au bout", a-t-il asséné lundi matin sur RTL, après avoir une nouvelle fois esquissé sa stratégie. Celle-ci est limpide : pilonner le programme de Benoît Hamon en réactivant le clivage des "gauches irréconciliables". À l'ancien ministre de l'Éducation les belles promesses utopistes, à lui la gauche de "responsabilité". "Moi, je ne veux pas enfermer la gauche dans l'irréalisme et l'illusion", a-t-il souligné. "Moi, je ne veux pas que la gauche se confonde avec l'impôt et les déficits."
Cibler le revenu universel. Dans le détail, Manuel Valls vise surtout le programme économique de son adversaire. Et notamment sa mesure phare, celle du revenu universel d'existence. "C'est 350 ou 400 milliards d'euros. C'est plus d'impôts, plus de déficit et plus de dette. Il faut sortir des ambiguïtés." Appelant Benoît Hamon à cesser de "faire rêver" avec "je ne sais quelle mesure qui ne sera pas opérationnelle et qui ruinerait le pays", l'ancien Premier ministre se positionne, en creux, comme le plus crédible des deux. Un discours dans la droite ligne de ceux qu'il a tenu lors des trois débats précédant le premier tour. Manuel Valls s'est toujours appliqué à se présenter comme le plus sérieux et le plus apte à occuper les plus hautes fonctions, fort de son expérience à Matignon.
" Moi, je ne veux pas enfermer la gauche dans l'irréalisme et l'illusion. "
Ses soutiens aussi ont sorti l'artillerie lourde. "Je ne veux pas que la France se retrouve sauvée par le FMI dans six mois", s'emporte Pierre Aidenbaum, maire du 3e arrondissement de Paris, dans les colonnes de L'Express. "Beaucoup des propositions de Benoît Hamon sont suicidaires."
Ramener le débat sur la laïcité et le terrorisme. L'économie n'est pas le seul thème en ligne de mire. "Sur le 49.3 citoyen, la légalisation du cannabis, on va essayer de mettre Benoît Hamon face à ses contradictions", explique le député vallsiste David Habib à Marianne. "Jusqu'à présent, Benoît a fait de la com', pas de la politique." À l'inverse, Manuel Valls va se concentrer sur ses sujets de prédilection, comme la laïcité, l'identité, le terrorisme. Des terrains peu investis par son concurrent, et sur lesquels il peut faire valoir son expérience au ministère de l'Intérieur et à Matignon. En matière de politique internationale aussi, l'ex-Premier ministre veut faire la différence, s'estimant plus apte à s'imposer "face à l'Amérique de Donald Trump et la Russie de Vladimir Poutine".
Montrer qu'avec Hamon, "la défaite est assurée". Le dernier angle d'attaque relève plus du calcul politique. Pour Manuel Valls et ses soutiens, il s'agit de montrer que si Benoît Hamon remporte la primaire, il annihile tous les espoirs de la gauche socialiste de se retrouver au second tour en mai 2017. "Je souhaite que la gauche soit au rendez-vous de l'élection présidentielle, ce qui à mon avis peut ne pas être le cas avec Benoît", glisse ainsi le sénateur Luc Carvounas au micro d'Europe 1. Manuel Valls a été plus catégorique encore lors de son discours dimanche soir : "un choix très clair se présente entre la défaite assurée et la victoire possible." Eux font valoir qu'avec un programme très marqué à gauche, Benoît Hamon laisse un immense espace central qui ne pourra que favoriser Emmanuel Macron.
.@ManuelValls Un choix se présente à nous : la défaite assurée ou la - victoire possible - ! #Valls2017
— AvecMV - #Valls2017 (@avecMV) 22 janvier 2017
Des arguments faiblards... Ils n'ont pas tout à fait tort. Selon un sondage Ipsos Sopra steria diffusé dimanche soir, Emmanuel Macron obtiendrait 18% des intentions de vote au premier tour de la présidentielle si Manuel Valls se présentait. Il en recueillerait 20% avec une candidature à ses côtés de Benoît Hamon. Mais l'argument est difficile à brandir chez les vallsistes, dans la mesure où le principal enseignement de cette enquête reste l'élimination du candidat socialiste, quel qu'il soit. Manuel Valls n'apparaît pas mieux placé que son rival pour qualifier le PS.
…Et une stratégie éculée. L'ancien Premier ministre sait aussi que la dynamique et l'arithmétique jouent contre lui. L'élan est du côté de son adversaire, qui n'a cessé de progresser dans l'opinion. Et a reçu le soutien d'Arnaud Montebourg, troisième homme et 17,5% des suffrages. Lui, pour l'instant, ne peut que se féliciter du ralliement de la candidate du PRG, Sylvia Pinel, qui pèse moins de 2% des voix. Certes, "la vie politique, ce ne sont pas des valeurs absolues qu'on ajoute", a rappelé Luc Carvounas sur Europe 1. Mais sur le papier, les réserves de voix de Manuel Valls semblent bien maigres.
"Ça va saigner". Sans compter que taper sur le revenu universel et jouer la gauche crédible, l'ancien Premier ministre l'a déjà fait pendant toute la campagne, avec acharnement. Cela n'a pas dissuadé les électeurs de lui préférer l'ancien ministre de l'Éducation. Il ne reste plus au clan Valls qu'à accélérer la cadence et la puissance des coups. Quitte à compromettre le rassemblement après le second tour. L'ex-chef du gouvernement veut croire qu'une "autre campagne commence". Dimanche soir, le député vallsiste Christophe Caresche prédisait dans les colonnes de Paris Match : "très bien, ça va saigner."