"On ne pouvait pas non plus les fouetter !". C'est ainsi qu'avait réagi Nathalie Saint-Cricq en mai 2017, à la sortie du débat du second tour de l'élection présidentielle entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Presque 4 ans après, la journaliste politique de France Télévisions analyse avec un autre recul le débat entre l'actuel président de la République et la présidente de Rassemblement national. Un moment de politique à la télévision où elle et son confrère Christophe Jakubyszyn avaient eu bien du mal à se faire entendre.
Invitée de l'émission Ça fait du bien pour son livre Je vous aiderai à vivre, vous m'aiderez à mourir, Nathalie Saint-Cricq n'est pas tendre avec elle-même au sujet de ce débat qu'elle a co-animé. "Je ne sais pas si on peut appeler ça animer. J'y ai assisté, j'étais dans la même salle", explique-t-elle. Un débat politique qui n'a pas été d'une grande qualité sur le contenu. "Non", confirme en un mot la journaliste.
Des journalistes à "l'air d'espèce de poireaux"
Pour Nathalie Saint-Cricq, "on ne peut rien faire dans ce type d'émission". "L'ordre des questions est fixé, le temps est fixé", rappelle-t-elle. "Dans l'oreillette, on a sans arrêt les directeurs de l'information de TF1 et de France 2 qui sont obsédés par l'idée qu'il faut qu'une fois ce soit Marine Le Pen qui commence à répondre, puis une fois Emmanuel Macron."
La journaliste politique regrette aussi un cadre aseptisé, où les questions sont réécrites pour être "complètement neutres", et non pas anglées en fonction des candidats. Ainsi, selon Nathalie Saint-Cricq, la question "Marine Le Pen, est-ce que vous considérez, par rapport à telle déclaration d'il y a deux ans, qu'il serait nécessaire de baisser les impôts ?" devient "Qu'est ce que vous proposez en matière d'impôts ?".
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"D'où cette question idiote au début de tous les débats : 'Dans quel état d'esprit êtes-vous ce soir ?'", s'exaspère la journaliste. Et la réalisation n'a pas non plus été favorable. "Quand je criais juste pour dire 'S'il vous plaît, on enchaîne', notre son était baissé", précise Nathalie Saint-Cricq. "C'est pour cela que l'on avait l'air d'espèce de poireaux."
"Ça va être une boucherie !"
Selon Nathalie Saint-Cricq, les téléspectateurs ont pourtant évité le pire. "Il y a eu effectivement le passage étrange avec Marine Le Pen, mais on sentait qu'il allait y avoir un drame", se souvient la journaliste. "Le drame, c'est quelque chose de très violent, d'incontrôlable et d'incontrôlé. Mais le drame n'est pas entièrement venu." Les conseillers des deux candidats avaient pourtant prévenu la journaliste : "Ça va être une boucherie !"
À l'époque, une rumeur supposait que Marine Le Pen parlerait d'un compte caché d'Emmanuel Macron aux Îles Vierges. "Quelque chose qui était une fake news totalement montée", précise Nathalie Saint-Cricq, qui craignait que cette fausse information ne cause le drame qu'elle redoutait. "S'il y avait eu une chose pareille, il aurait quand même fallu que l'on intervienne. Mais intervenir, comment ? Pour dire quoi ?", s'interroge-t-elle encore aujourd'hui.
Un seul regret
Finalement, Nathalie Saint-Cricq n'a qu'un seul regret : ne pas s'être arrêtée au bout d'une heure et demie pour stopper le pugilat. Avec le recul elle estime qu'elle aurait dû dire "Écoutez, cette émission est une émission de la campagne officielle. Ce n'est pas une émission politique normale. Vous avez fait vous-mêmes l'ordre des questions. C'est vous qui avez décidé que l'on parlerait d'Europe, d'écologie, de politique étrangère et vous ne respectez rien de tout ça. Après, vous serez bienvenus de dire que l'on n'a pas parlé de la Syrie, ni d'écologie. Sauf que c'est vous qui avez décidé de vous étriper." Un rappel à l'ordre qui n'est pas intervenu.
"Mais j'ai quand même trouvé cela extrêmement passionnant et amusant à faire", nuance la journaliste, qui n'a pas regardé les réseaux sociaux après le débat, sur les conseils appuyés de son fils. Elle a cependant scruté les débats des élections présidentielles précédentes. "En général, je ne suis pas certaine que ce soit le meilleur truc, parce que c'est très, très codifié", analyse-t-elle.
Nathalie Saint-Cricq aimerait-elle remettre le pied à l'étrier et présenter le débat de l'entre-deux tours de la prochaine présidentielle, en 2022 ? "Je pense que l'on ne fait pas ça deux fois", répond-elle, sans envie particulière de changer cette règle tacite.