Un débit impressionnant et l'usage d'un champ lexical soigneusement choisi suffisent pour se faire une première idée d'Elise Fajgeles. À 47 ans, la députée de la cinquième circonscription de Paris semble être l'incarnation parfaite de l'élu macroniste. Celle qui, en février, avait été nommée rapporteure du projet de loi asile et immigration, s'applique depuis à défendre un texte "concret" et "opérationnel". Un job harassant sur un projet de loi qui ne fait pas l'unanimité au sein de la majorité, et qui se double de l'obligation d'assurer le "dialogue" entre les élus et le gouvernement. Cette ancienne proche de Manuel Valls s'en acquitte avec une énergie joyeuse digne des "happy managers" d'entreprise. Elle s'apprête, cette semaine, à prendre la lumière pour l'examen du texte en séance à l'Assemblée.
La pédagogie macroniste en action
Un baptême du feu qui en aurait effrayé plus d'un, alors que des divergences subsistent encore et toujours chez LREM à propos de ce projet de loi, longuement débattu en commission il y a quinze jours. Mais il en faut plus pour désarçonner Elise Fajgeles. "Je suis fatiguée mais sereine", confiait-elle dans un sourire quelques jours avant les débats. "Il y a une meilleure ambiance qu'il y a deux mois." À ce moment-là, les députés LREM paraissaient ne pas pouvoir trouver un terrain d'entente. L'examen de la proposition de loi facilitant la rétention des "dublinés", ces demandeurs d'asile enregistrés à leur arrivée dans un autre pays de l'Union européenne, avait en effet semé le trouble au sein de la majorité. "Il y avait une tension, l'impression, pour certains, de ne pas être entendus par l'exécutif", admet aujourd'hui Elise Fajgeles. Qui assure que la confiance est rétablie.
C'est précisément elle qui a dû s'atteler à éteindre l'incendie naissant, en appliquant à la lettre la pédagogie macroniste. D'abord, identifier tous ses collègues, ce qui n'est jamais aisé dans un groupe pléthorique. Le mur de son bureau à l'Assemblée, sur lequel sont punaisés les photos, noms, prénoms et circonscriptions de tous les membres du groupe, attestent des efforts de l'élue parisienne qui, avant, "ne savait même pas où était l'Aveyron".
Puis, Elise Fajgeles a dû sourire, écouter et répondre à tout le monde, surtout les plus réfractaires –exercice délicat que n'aurait pas renié Emmanuel Macron lui-même. Celle qui se décrit comme "une sanguine" a pris sur elle. "Ça m'a apporté de la patience", reconnaît-elle dans un sourire. "Et j'ai aussi compris que ce n'est pas très grave de donner la parole aux gens qui ne sont pas d'accord." Un petit pas au sein d'un groupe parlementaire réputé verrouillé, où le traumatisme des frondeurs du quinquennat Hollande a laissé des plaies béantes. "On a eu ce dialogue indispensable", estime Elise Fajgeles. "Et il sera important, en séance, de faire valoir tous les points de vue."
Faire valoir tous les points de vue, d'accord, mais pas au point d'influer notablement sur le texte. La rapporteure a beau souligner les amendements sur le pré-accueil des réfugiés ou la prise en compte des discriminations contre les personnes LGBT pour redéfinir les "pays sûrs", l'esprit de la loi n'a pas changé d'un pouce. Elle est toujours jugée trop répressive par certains députés LREM, qui ont annoncé, à l'image de Matthieu Orphelin, qu'ils ne pouvaient pas la voter. "Pas grave", évacue Elise Fajgeles. "Ce qui compte, c'est qu'il n'y ait pas de cassure. Et il n'y en aura pas."
Cours Florent et festival d'Avignon
Ecouter, parler, tenter de convaincre mais ne pas bouger d'un iota sur le fond, voilà peut-être l'essence de la méthode Macron. Et ce n'est pas là le seul point commun entre Elise Fajgeles et le président. Comme l'ancien banquier, la députée a eu plusieurs vies. Avocate de formation, elle n'exerce que peu de temps avant d'intégrer le cours Florent à 30 ans. Reconvertie en comédienne et metteur en scène, la voilà qui monte des textes d'Anton Tchekhov pour le festival Off d'Avignon en 2005. Il est d'ailleurs savoureux de voir celle qui, aujourd'hui, est obsédée par "les résultats" et "le fait de faire quelque chose de bien pour le pays", choisir un dramaturge qui a tant mis en scène des personnages empêchés, dévorés par l'échec et la nostalgie.
" Un élu doit se faire engueuler. "
En 2006, Elise Fajgeles met ses compétences juridiques au service du ministère de la Culture avant, deux ans plus tard, de se faire élire au conseil municipal du 10e arrondissement de Paris. Elle y sera réélue en 2014 et en retirera une règle d'or : "un élu doit se faire engueuler." Son arrivée sur les bancs de l'Hémicycle, à la faveur de la nomination au gouvernement de Benjamin Griveaux, dont elle est la suppléante, lui donne bien des occasions de l'éprouver. De cafés citoyens en débats parlementaires, Elise Fajgeles encaisse les coups. Et ne peut réprimer un sourire lorsqu'elle raconte la fin, quasiment toujours identique, de telle ou telle anecdote : "j'ai tenu bon."
L'ancienne socialiste pas vraiment de gauche
Comme nombre de ses collègues, et notamment Manuel Valls, qu'elle avait soutenu à la primaire de 2017, Elise Fajgeles vient du Parti socialiste. Et n'a pas de mots assez durs envers son ancienne famille politique, qu'elle avait rejointe en 1990 mais qui, aujourd'hui, "ne [l']intéresse pas tellement". "Je ne vois pas ce qui est en train de changer au PS [avec l'élection d'Olivier Faure]. Je suis très contente d'en être partie." Cela a supposé de changer d'idées assez radicalement, comme par exemple sur l'ISF, qu'elle a accepté de refondre en IFI (impôt sur la fortune immobilière) sans broncher. "Je n'ai plus de totems idéologiques", balaie l'élue pour se justifier, tout en admettant que celui-là, elle l'a "pourtant porté pendant des années".
" Je suis moins de gauche que Manuel Valls. "
Elise Fajgeles ne se définit d'ailleurs pas (plus ?) comme une femme "de gauche". "Je porte l'émancipation, l'égalité des chances. Je suis une pragmatique. Sous la précédente législature, on était trop occupés à savoir qui était de la vraie ou de la fausse gauche. Nous, on fait le job." Et s'il fallait absolument la situer sur l'échiquier politique, ce serait en la comparant. "Je suis moins de gauche que Manuel Valls, par exemple."
La nouvelle maison La République en marche! lui convient donc parfaitement. "Je n'ai jamais eu de moment d'inquiétude", assure la députée dans un grand sourire. Elle aime la "co-construction", "le vrai des choses" et manager ses collègues en "donnant la parole à ceux qui ne la prennent pas". "Vous avez une députée heureuse en face de vous. Mais je sais que ça ne fait pas de bons articles."