"Notre défi est d'éclairer l'humanité." Emmanuel Macron n'a pas manqué de grandiloquence jeudi, à Orléans, lors de son discours fixant les lignes directrices de la politique migratoire de la France, intimement liée selon lui à celle de l'Europe. Auparavant, le chef de l'État avait rencontré des familles de réfugiés accueillies dans un Centre provisoire d'hébergement géré par l'association COALLIA. Après des échanges informels, le Président de la République a assisté à une cérémonie de naturalisation à la préfecture. Cette intervention auprès des réfugiés était très attendue par les associations qui demandent à Emmanuel Macron d'en faire plus dans ce domaine.
Une tradition d'accueil mise à l'épreuve. "Le grand défi qui est le nôtre, c'est de ne pas faire de la France le pays de la peur de l'autre. La culture française aspire à l'universel, elle s'est construite grâce aux affluents multiples qui ont fait le fleuve qu'elle est aujourd'hui", a rappelé le président sur un ton très solennel. "Cette tradition d'accueil est mise à l'épreuve par l'évolution du monde. Notre pays est bousculé par des doutes, des tensions, une crise mondiale qui conduit à des grandes migrations. La France doit jouer pleinement son rôle à l'égard de ceux qui doivent être protégés, ceux qui sont percutés, qui méritent l'asile", a-t-il ajouté, en différenciant bien réfugiés politiques et migrants économiques. "Se voiler la face face à l'angoisse de ces milliers d'exilés, ce n'est pas la France", a conclu le chef de l'État à Orléans.
Organiser une politique migratoire européenne. Emmanuel Macron a divisé en deux volets la politique migratoire de la France. D'une part, agir à la source, si possible de concert avec l'Union européenne. "Je souhaite que l'UE puisse traiter les demandes d'asile au plus près du terrain, dans le pays sûr le plus proche des zones de départ. La France le fera", a assuré le président, qui a ciblé un pays en particulier. "L'idée est d'ouvrir, dès cet été, des hot spots (des centres d'examens, ndlr) en Libye afin d'éviter aux gens de prendre des risques fous alors qu'ils ne sont pas tous éligibles à l'asile", a précisé le chef de l'État.
Sauf que quelques heures plus tard, l'Elysée a indiqué que l'installation de ces centres ne serait pas possible dans l'immédiat. A la place, la France enverra fin août une mission de l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour en étudier la faisabilité en Libye, au Niger et au Tchad.
Garantir la dignité des réfugiés. Deuxième volet : la prise en charge sur le territoire français. "D'ici la fin de l'année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois", a déclaré le président. "La première bataille : loger tout le monde dignement. Je veux partout des hébergements d'urgence. Je ne veux plus de femmes et hommes dans les rues", a-t-il ajouté, souhaitant "dès la première minute" un traitement administratif du cas de chacun. Derrière, il a exigé une "vraie politique de reconduite aux frontières", "pour que ceux qui ont été déboutés du droit d'asile ne restent pas dehors dans des conditions de vie précaires".
Passer à l'acte. Reste à transformer les mots en actes. Emmanuel Macron avait déjà insisté sur la nécessité de refonder la politique migratoire française lors de la campagne présidentielle. Puis, une fois élu, il avait fait cause commune avec Angela Merkel à Bruxelles. "Nous devons accueillir des réfugiés car c'est notre tradition et notre honneur. Je le redis ici, les réfugiés ne sont pas n’importe quel migrant. Ce ne sont pas les migrants économiques. Ce sont des femmes et des hommes qui fuient leur pays pour leur liberté, ou parce qu’ils sont en guerre ou pour leur choix politique", avait dit le président français à l'occasion du Conseil européen, fin juin. Des paroles qui se sont immédiatement heurtées à la réalité de la situation des réfugiés qui arrivent en France.
D'abord à Calais, où la fermeture de la "jungle" n'a pas réglé la situation, loin de là. Mi-juin, le Défenseur des droits avait mis en lumière les conditions de vie déplorables des migrants restés sur place. "Entre 500 et 600 personnes, dont des mineurs, dorment à même le sol, quelles que soient les conditions climatiques. Tous les points d’eau ont été supprimés : les migrants ne peuvent pas se laver, ni même boire. C'est leur principale demande", avait alerté Jacques Toubon.
Les migrants sont traqués jour et nuit dans plusieurs sous-bois de la ville et ne peuvent plus dormir, ni se poser et se reposer.
— Défenseur des droits (@Defenseurdroits) 14 juin 2017
Le campement parisien se reforme. Peu après, c'est le campement de La Chapelle qui a valu au gouvernement de sévères critiques de la part des associations. Le centre ouvert dans le 18ème arrondissement de Paris est débordé par l'afflux de migrants, environ 400 par semaine. Résultat, début juillet, près de 3.000 réfugiés avaient établi un campement sauvage aux abords du centre, dans des conditions d'hygiène médiocres. Le campement avait été évacué et les migrants répartis dans des centres d'Île-de-France. Mais la situation est loin d'être réglée. "Nous avons compté plus de 800 personnes et on estime à entre 30 et 50 par jour le nombre de nouvelles arrivées", a déclaré jeudi Pierre Henri, directeur général de l'association France terre d'asile. "On se dirige vers une nouvelle évacuation, il n'y a pas le choix."
Un plan d'hébergement. Pour répondre à l'urgence de la situation, le gouvernement a présenté mi-juillet un "plan migrants" prévoyant notamment plus de 12.000 places d'hébergement pour les demandeurs d'asile et les réfugiés d'ici 2019 mais le ministre de l'Intérieur s'est opposé à toute nouvelle ouverture de centres pour migrants. La position de Gérard Collomb, sur une ligne plus dure qu'Emmanuel Macron, inquiète les associations. Lors d'une visite à Calais, il avait demandé aux associations présentes sur place d’"aller déployer leur savoir-faire ailleurs" et appelé à ne pas ouvrir un nouveau centre pour ne pas créer un "appel d'air" qui conduirait les migrants à "s'enkyster" dans la région.
Les associations s'inquiètent. Mais pour ceux qui gèrent au quotidien l'accueil des réfugiés, ce n'est pas suffisant. Françoise Sivignon, présidente de Médecins du Monde, a récemment interpellé Emmanuel Macron dans une tribune publiée sur le Huffington Post. "Il faut proposer l'asile à ceux qui y ont droit. Il faut également, de toute urgence, accueillir et protéger les milliers de mineurs non accompagnés. Des enfants qui à ce titre doivent bénéficier de cette protection vitale dont vous avez la responsabilité. Monsieur le Président, vous êtes garant de l'accès aux droits fondamentaux de ceux qui migrent", écrit-elle. En parallèle, sept associations qui viennent en aide aux réfugiés ont invité Emmanuel Macron à agir, dans L'Obs : "Nous réclamons en urgence du président de la République une véritable concertation incluant pleinement les acteurs de la solidarité, des orientations claires, des mesures et des moyens nouveaux pour une politique migratoire d’hospitalité, fondée sur le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes étrangères, à la hauteur des enjeux qui se posent à la France et à l’Europe aujourd’hui".
Sur le plan européen justement, Macron est aussi attendu. La distinction répétée par le chef de l'État entre "réfugiés politiques" et "migrants économiques" a déçu en Italie. De l'autre côté des Alpes règne le sentiment que l'Europe, et Macron en particulier après les espoirs qu'il avait suscités, a abandonné l'Italie, alors même que le pays est submergé par les flots de migrants qui arrivent par la Méditerranée. Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 100.000 migrants et réfugiés sont arrivés depuis janvier en Europe, dont plus de 85.000 ont débarqué en Italie en traversant la Méditerranée depuis les côtes libyennes.