Cette affaire résonne au plus haut sommet de l'État. Chaque ministre, en déplacement sur le terrain, est interrogé par les journalistes sur ce qu'on appelle désormais "l'affaire Abad" du nom du nouveau ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées, Damien Abad, accusé de viol par deux femmes. S'il se dit être "innocent", d'autres à l'image de Xavier Bertrand affirme que l'exécutif a choisi de le nommer "en pleine connaissance de cause", ce que confirme la journaliste de Mediapart Marine Turchi, invitée de Culture Médias mercredi, qui signe une enquête sur Damien Abad.
"Un Damien Abad très insistant"
"Quand Élisabeth Borne expliquait dimanche matin qu'elle découvrait ces accusations, c'est faux, je les ai eus au téléphone vendredi, comment peuvent-ils dire dimanche qu'ils découvrent tout ça ?" s'est exclamée Marine Turchi sur Europe 1 qui a aussi écrit vendredi à Christophe Castaner, président du groupe LREM à l'Assemblée nationale et Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques.
"Quand j'entends la porte-parole du gouvernement dire qu'aucun membre du gouvernement n'avait connaissance de ces accusations, c'est impossible", a-t-elle lancé.
Ces affaires, qui sortent dans la presse tour à tour, témoignent de la libération de la parole qui avait commencé aux Etats-Unis avec le mouvement #Metoo.
Dans son enquête sur le nouveau ministre des Solidarités, la journaliste a recueilli le témoignage de deux femmes, Chloé* 41 et Margot 35 ans. Margot, ancienne militante centriste, avait porté plainte en 2017 pour viol. Une plainte classée sans suite. "Un flirt s'engage par SMS, dans plusieurs SMS on voit un Damien Abad très insistant, ne respectant pas d'ailleurs ses refus. Quand elle lui dit 'Je n'ai pas envoyé d'envie d'envoyer un SMS avec une photo de moi dénudée', il insiste, il insiste, il insiste", raconte Marine Turchi.
"Il va y avoir une rencontre au domicile de Margot, après un début de relation consentie. D'après son récit, il l'aurait forcée à des pratiques sexuelles qu'elle ne souhaitait pas. Elle affirme qu'elle lui a dit non de manière répétée, qu'elle a arrêté de bouger et qu'il a malgré tout continué", poursuit-elle.
Chloé, 41 ans, est amenée à côtoyer des élus, des responsables politiques dans le cadre de son travail. Elle rencontre Damien Abad à un mariage et va le revoir à la fois pour des rendez-vous amicaux et des rendez-vous professionnels. "Elle explique qu'alors qu'elle buvait une coupe de champagne que lui avait apportée Damien Abad, elle s'est sentie mal, elle a fait un black out", décrit la journaliste. "Elle se souvient que d'une chose : s'être réveillée en sous-vêtements dans la chambre d'hôtel aux côtés de Damien Abad, sans aucun souvenir de comment elle était arrivée là."
Un comportement inapproprié à l'égard de plusieurs collaboratrices ?
"Mais il y a aussi d'autres choses qui émanent de gens qui ont milité dans la mouvance centriste ou à droite qui me racontent des accusations de comportements inappropriés qu'aurait eu Damien Abad à l'égard de collaboratrices", confesse Marine Turchi. "C'est quelque chose que j'ai beaucoup entendu, notamment de la part du secrétaire général des Républicains (LR), Aurélien Pradié, qui me dit avoir questionné Damien Abad à ce sujet en novembre 2020. Il faut savoir que cet épisode n'est pas démenti par Damien Abad qui m'a simplement dit que c'était une tentative de déstabilisation politique de la part de LR."
Un témoignage recueilli en janvier 2021
C'est après avoir vu le témoignage d'Adèle Haenel dans Mediapart au sujet de Christophe Ruggia que Chloé décide en janvier 2021 de contacter la journaliste. "À l'époque, on n'est pas en mesure de publier parce qu'on estime qu'on peut trouver plus et que ce n'est pas assez", avoue-t-elle.
"Pour moi, ce sont des faits d'intérêt public qui éclairent le comportement présumé d'un élu alors qu'il était patron du groupe LR à l'Assemblée nationale. Là, il est ministre, mais pour moi, c'est la même question." Dans son enquête, Marine Turchi donne la parole au principal concerné. "J'ai demandé un entretien à Damien Abad, il ne m'a pas répondu, j'ai relancé, je ne sais pas combien de fois", raconte-t-elle.
"Puis, il m'a dit 'Je vais vous répondre' et j'ai reçu une réponse écrite, une réponse globale qui n'était pas précisément sur toutes mes questions et qui était très courte sur le témoignage de Chloé", juge-t-elle.
Face à ces accusations, Damien Abad se défend affirmant que son handicap l'empêche de porter une personne, de la transporter ou de la déshabiller. Une défense corroborée mardi par le témoignage de Muriel, son ancienne aide-soignante. "Je connais le handicap de Damien, je l'habillais de haut en bas parce qu'il n'était pas capable de le faire. Il ne peut même pas boutonner une chemise, mettre des chaussettes, lacer ses chaussures. Il faut de toute façon que la personne soit consentante pour avoir des relations sexuelles avec lui parce qu'il va falloir l'aider", a-t-elle raconté sur RMC Story ajoutant qu'elle ne remet pas en cause la parole de ces femmes, mais qu'elle doute de la matérialité des faits.
Pour Marine Turchi, il ne faut pas se contenter de la parole de Damien Abad. "L'enquête judiciaire aurait dû de toute évidence prendre un expert médical pour en savoir plus sur le handicap de Damien Abad, sur les facultés physiques qui sont les siennes."
Le site en ligne est l'un des pionniers en matière d'enquêtes sur les violences sexuelles. Ces dernières années, Mediapart a sorti plusieurs enquêtes sur le sujet. Des enquêtes qui ont concerné Christophe Ruggia, Gérald Darmanin ou encore dernièrement, le journaliste Patrick Poivre d'Arvor.
* Chloé est un prénom d'emprunt