Entre impréparation et bizutage, les débuts difficiles des députés REM

Assemblée nationale jean-baptiste Moreau
Le député REM Jean-Baptiste Moreau, ici en pleine séance de QAG, fait partie des novices de l'Assemblée. © Martin BUREAU / AFP
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À plusieurs reprises, certains parlementaires de la majorité ont fait preuve d'un amateurisme pointé par l'opposition. Eux revendiquent une phase de rodage.

"Euh… monsieur… là, je fais quoi ?" Appelée à remplacer François de Rugy pour diriger les débats sur la loi de confiance à l'Assemblée nationale mardi après-midi, la vice-présidente REM Carole Bureau-Bonnard a eu bien du mal à enfiler le costume de présidente de séance. Grâce à un micro souvent ouvert aux moments inopportuns, les députés comme les spectateurs ont pu l'entendre se reposer entièrement sur l'administrateur derrière elle, lui poser des questions et recueillir ses indications, ce qui ne l'a pourtant pas empêchée de s'emmêler les pinceaux à plusieurs reprises.

Excédés, les élus de l'opposition ont enchaîné les rappels au règlement jusqu'à ce que le communiste André Chassaigne, à bout de patience, hurle tout haut ce que beaucoup pensaient déjà très bruyamment : "ça devient pénible. Vous menez ces débats de façon incompréhensible." Finalement, François de Rugy est venu remplacer Carole Bureau-Bonnard et calmer des parlementaires très agacés par l'amateurisme de leurs collègues de la majorité.

"La bienveillance a des limites". Cet incident n'était pas le premier, il ne sera pas le dernier. La veille déjà, le chef de file des députés LR, Christian Jacob, fustigeait "l'inexpérience" des élus REM. Le lendemain, le même s'est écrié avec une verve qui n'aurait pourtant pas dépareillé sur un terrain de pétanque qu'"on n'est pas dans l'assemblée générale d'un club de boulistes" après une erreur de la présidente de séance, Danielle Brulebois. "La bienveillance a des limites", a renchéri son collègue LR, Aurélien Pradié, qui a atteint les siennes en moins de deux mois, puisqu'il a été élu député pour la première fois le 18 juin dernier.

Des élus "bâillonnés", "vautrés". Les critiques pleuvent, et pas seulement sur celles et ceux qui se succèdent au Perchoir. La majorité assise dans l'Hémicycle, elle aussi, a droit à ses railleries. Les élus REM seraient "bâillonnés" (Christian Jacob, encore), apathiques, transparents. "Ils sont dans un groupe caporalisé", tempête Damien Abad, député LR. "J'avais prévenu que le réveil serait brutal." Pour l'opposition, cet amateurisme a des conséquences politiques graves : elle brouille les débats, les ralentit, et finit par nuire à la fabrique de la loi.

" Ils sont dans un groupe caporalisé. J'avais prévenu que le réveil serait brutal. "

Certains reproches remontent même en interne. La présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, s'était franchement agacée contre ses collègues lors de l'examen de la loi de confiance. "On a une responsable de texte [la députée des Français de l'étranger Paula Forteza] qui est inexistante, c'est comme si elle était à Nouméa sur une chaise longue. Et on a un groupe qui dort, qui ne sait pas monter au créneau, qui est vautré." Jean-Michel Fauvergue, élu en Seine-et-Marne, s'était quant à lui étonné d'être applaudi par la majorité à laquelle il appartient…avant même d'avoir commencé à parler.

"Oui, on est nouveaux, il y a des approximations". Au sein de la REM, on tempère et on euphémise. "Il peut y avoir des moments où des ajustements sont nécessaires", note Hervé Berville, porte-parole du groupe. "Mais il y en a toujours au début d'une nouvelle législature." Jean-Baptiste Moreau, élu de la Creuse, trouve "tout ce spectacle un peu usant". "Oui, on est nouveaux, il y a des approximations, des choses qu'on ne sait pas forcément, des petits couacs. Oui, ma première question au gouvernement, j'ai préféré l'écrire et garder ma feuille sous les yeux plutôt que d'improviser. Mais on apprend, et on le fait relativement vite."

Cet éleveur bovin, président d'une coopérative agricole, pointe aussi la différence entre les sketchs en séance et le travail fait en commission –lui-même est au sein de celle des affaires économiques. "Ce n'est pas le plus visible, mais c'est le plus important."

Un "flottement" inédit. De l'aveu d'un familier des arcanes de l'Assemblée nationale, qui en arpente les couloirs depuis une quinzaine d'années, il n'y a jamais eu un tel "flottement" dans l'Hémicycle, même au début d'une nouvelle législature. "Normalement, les nouveaux sont toujours épaulés par les plus anciens. Mais là, ce n'est pas possible puisqu'il n'y a pas d'anciens." C'est le cas, notamment, parmi ces si controversés vice-présidents de l'Assemblée nationale. Au nombre de six, ils sont tous issus des rangs de la REM puisque le groupe d'opposition le plus important, LR, avait retiré ses candidats après un imbroglio autour de l'attribution des postes de questeurs. Et ils sont tous les six députés depuis moins de deux mois.

Cela n'empêche d'ailleurs pas certains d'entre eux de tenir leur Hémicycle. Sacha Houlié, 28 ans au compteur, n'a pas eu à affronter de débordements jeudi matin en séance. Et Cendra Motin est jugée comme "la meilleure présidente de séance" par bien des députés de l'opposition. "Meilleure que de Rugy", souffle l'un d'eux.

"Il est où, dans ces moments-là, François de Rugy ?" Pour une partie de l'opposition, le problème vient d'ailleurs surtout de ce manque d'accompagnement plutôt que des députés REM eux-mêmes. "J'en veux à ceux qui ont décidé de les envoyer sans les préparer", explique posément Ugo Bernalicis de la France Insoumise. "Il est où, dans ces moments-là, François de Rugy ? La faute est aussi du côté du gouvernement qui, en choisissant de passer des textes pourtant fondamentaux en procédure accélérée, ne permet pas de prendre le temps du débat et, du même coup, d'accompagner les nouveaux membres de sa majorité."

" Il y a des vieux roublards, surtout à droite, qui sont en mode bizutage. "

"Des vieux roublards en mode bizutage". Le jeune (pas encore 28 ans) député reconnaît par ailleurs que l'opposition a tendance à en profiter. "Il y a des vieux roublards, surtout à droite, qui sont en mode bizutage." Pour un observateur de la vie parlementaire, l'attitude de certains est même "scandaleuse". "Hurler 'sortez-là !' à la vice-présidente Bureau-Bonnard, c'est tirer sur l'ambulance."

Ce bizutage en bonne et due forme, Jean-Baptiste Moreau "s'y attendait". "Dans l'opposition, ils savent qu'il y a une part de stress et d'émotion, ils nous testent, c'est le jeu. Il ne faut juste pas rentrer dedans, c'est tout ce qu'ils attendent." Pour Hervé Berville, "l'opposition est dans son rôle, qui peut être très caricatural", et il ne faudrait pas porter trop d'attention à ce qui n'est finalement que l'écume des débats. Laurent Saint-Martin, élu du Val-de-Marne, se montre moins clément. "C'est pas fair-play. Un peu de tolérance ferait du bien à tout le monde." De toute évidence, la bienveillance prônée par Emmanuel Macron et ses marcheurs s'importe difficilement au Parlement.

 

Richard Ferrand très critiqué

Il n'y a pas que les novices qui commencent poussivement cette législature. Le chef de file du groupe REM, Richard Ferrand, connaîtrait lui aussi quelques difficultés. D'abord parce que ses ouailles, que d'aucuns trouvent trop dociles, ont tout de même voté à plusieurs reprises contre l'avis du gouvernement, notamment sur la suppression de la réserve ministérielle –avant que, faisant volte-face, le gouvernement ne se dise finalement favorable à la mesure. "Il n'y a pas de patron d'En Marche! dans l'Hémicycle. Le groupe n'est pas organisé !", se plaint un député Constructif dans Le Monde. Au sein du groupe, on lui reproche pêle-mêle d'avoir trop favorisé les jeunes, au détriment d'élus plus expérimentés, d'avoir surtout promu des parlementaires franciliens et de ne pas avoir suffisamment briefé les néophytes sur les usages de l'Assemblée.

Son manque d'assiduité est aussi pointé du doigt. Certes, beaucoup reconnaissent qu'il lui est difficile de se mettre en avant sur la loi de confiance, alors que lui-même est visé par une enquête dans l'affaire des Mutuelles de Bretagne. Mais "on ne sait pas ce qu'il fait de ses journées, on le voit deux fois deux heures par semaine en réunion de groupe et ça s'arrête là", regrette un député de la majorité dans le quotidien du soir. Pour calmer le jeu, Richard Ferrand a déjeuné avec une vingtaine de députés de sa majorité mardi. Reste à savoir si ce sera suffisant. Dans les colonnes de L'Opinion, une jeune députée prédit "une fronde sur le mode de fonctionnement du groupe".