L'Assemblée nationale doit discuter jeudi de deux textes destinés à lutter contre "les manipulations de l'information". Ce texte doit permettre à la justice de faire cesser en référé la diffusion de fausses informations durant les périodes pré-électorales et électorales pour des scrutins nationaux. La République en marche soutient fermement cette volonté de l'exécutif de légiférer contre les fausses nouvelles, qui ont en partie pollué la fin de campagne présidentielle du candidat Macron, les autres partis fustigent une "dérive dangereuse" contre la démocratie.
Sur Europe 1 jeudi matin, Naïma Moutchou, avocate et députée LREM du Val-d'Oise, et Basile Ader, vice-bâtonnier du Barreau de Paris, ont opposé leurs arguments.
Sur la définition-même de la fausse information
Si pour Naïma Moutchou, "la fausse information est une notion qui continue d'évoluer", elle martèle tout de même une "définition générale" sur laquelle se sont mis d'accord la majorité. "C'est une information qui repose d'abord sur un fait, car il n'est pas question de sanctionner les jugements de valeurs ou les opinions qui circulent sur les réseaux sociaux, mais il s'agit d'informations inexactes ou trompeuses".
Pour Basile Ader en revanche, la définition donnée par Naïma Moutchou ne convient pas. "Je pense que cette loi est impraticable à cause de cette définition qui ne voudra rien dire, et qui va laisser tellement d'incertitudes et d'aléas, dans un domaine où il faut beaucoup de précaution", fait-il valoir. "Pour moi, c'est une loi de circonstance et sans doute dangereuse", considère l'avocat.
Sur l'application de la loi
Selon ce texte, trois critères cumulatifs devront nécessairement être réunis pour que le juge des référés soit saisi (et ce en 24 heures) : que le caractère de fausse information soit établi, que sa diffusion soit artificielle ou automatisée, et que sa diffusion soit massive. Si l'intention n'est pas mauvaise pour Basile Ader, l'application de la loi est tout bonnement impossible car son champ est très mal délimité. "Il faut souvent des mois d'enquête aux juges pour dire si une information est vraie ou fausse. Si un candidat à une élection a un compte offshore, on ne peut pas trancher ça en 24 heures", dénonce le vice-président du Barreau de Paris. "La loi ne nous dit même pas qui doit rapporter la vérité", souligne-t-il.
"Et si le juge vient nous dire après avoir été saisi que la fausseté ne lui parait pas évidente, il va peut-être authentifier une nouvelle qui est sans doute fausse. À rebours, cette loi sera encore pire que la situation qu'on veut combattre", s'alarme Basile Ader. De son côté, Naïma Moutchou nuance : "Attention à ne pas tout mélanger. Le juge des référés, c'est le juge des évidences. 'L'information est manifestement fausse, alors stoppons sa diffusion'. S'il y a un doute, le juge explique qu'il n'y a pas assez d'éléments dans le dossier pour qu'il puisse statuer", tient-elle à rassurer.
Sur l'utilité de ce nouveau dispositif législatif
Si Basile Ader martèle que cette loi est "dangereuse", la députée LREM "considère que cette loi est utile", "nécessaire". "Le monde a changé depuis le temps de l'imprimerie. Aujourd'hui, on est des millions à travers le monde à pouvoir, en un clic, diffuser, répondre, critiquer. C'est très facile. Alors c'est une avancée extraordinaire pour la démocratie, mais c'est aussi un vrai danger", prévient Naïma Moutchou. Elle illustre : "aujourd'hui, avec 5.000 euros, vous pouvez vous acheter 20.000 contenus haineux. Avec 2.600 euros, vous pouvez vous procurer 300.000 followers, et avec quelques centaines d'euros, vous pouvez avoir des contenus sponsorisés". Naïma Moutchou cite l'exemple du faux compte aux Bahamas d'Emmanuel Macron, ou fait référence à la photo de Jean-Luc Mélenchon portant une Rolex de 20.000 euros à son poignet, qui n'était en fait qu'un montage.
Mais pour Basile Ader, une nouvelle loi n'a pas besoin d'être votée, car "il y a déjà tout ce qu'il faut dans le code électoral, notamment la diffamation accélérée prévue par la loi de 1881". "En 48 heures, le juge doit statuer lorsqu'un candidat à une élection est mis en cause de manière diffamatoire. Dans cette hypothèse, c'est à celui qui a diffamé de rapporter la preuve de la vérité. Là, on ne sait pas qui doit saisir le tribunal, et on ne sait pas qui doit rapporter la fausseté ou la vérité", rappelle-t-il.
Par ailleurs, la loi de 1881 sur la liberté de la presse prévoit déjà la répression de la diffusion de fausses nouvelles. Mais Naïma Moutchou, qui a par ailleurs exercé pendant neuf ans comme avocat spécialisée dans le droit de la presse, il y a une distinction technique à faire entre "fausse nouvelle" et "fausse information". "Pour la fausse nouvelle, c'est le procureur qui agit, et lui seul. C'est extrêmement réducteur. Nous prévoyons un dispositif dans lequel tout candidat peut agir, mais aussi tout électeur qui estimerait qu'il est lésé lorsqu'il va mettre son bulletin dans l'urne", évoque-t-elle d'abord. "Ensuite, la fausse nouvelle n'est sanctionnée que s'il s'agit d'une première divulgation de la nouvelle. En matière de fausse information, sur les réseaux sociaux, c'est impossible de définir s'il s'agit d'une première diffusion ou pas", poursuit l'avocate. Enfin, elle souligne que dans le cas de la fausse nouvelle, "on se trouve dans le trouble à l'ordre public. Ça ne pourrait pas s'appliquer dans le cas d'une fausse information".