Ils se sont affichés unis, vendredi, lors de leur conférence de presse commune à l'Elysée. François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel ont évoqué ensemble la crise des migrants lors d'un rendez-vous de travail. L'objectif était clair : accorder leurs violons avant un sommet très attendu, lundi, entre l'Union européenne et la Turquie. Paris et Berlin s'apprêtent en effet à convaincre Ankara de mieux contrôler l'accès à son territoire, par lequel passent un grand nombre de migrants pour rejoindre l'Europe.
Officiellement, la France et l'Allemagne sont déjà d'accord sur les principales solutions à apporter à la crise migratoire. François Hollande et Angela Merkel comptent agir en aidant la Grèce à contrôler ses frontières, en renforçant l'accueil et l'enregistrement des réfugiés et en luttant contre les réseaux de passeurs. Près d'un an après que l'Europe se soit emparée pleinement de la question des migrants, cette entente ne suffit pas à faire oublier que cette crise a durablement fissuré le couple franco-allemand.
- Acte 1 : Paris et Berlin ne regardent pas dans la même direction
Si les flux migratoires causés notamment par la guerre en Syrie ont touché l'Europe dès le début des années 2010, c'est au mois d'avril 2015 que le Vieux Continent prend la pleine mesure de la crise qui l'attend. Les naufrages, au large des côtes italiennes, de plusieurs bateaux transportant des migrants, marquent l'opinion publique et forcent les dirigeants européens à réagir. A ce moment-là, le couple franco-allemand semble sur la même longueur d'onde, débloquant des moyens ponctuels pour venir en aide aux navires en perdition, sans arrêter de stratégie de long-terme.
Néanmoins, deux visions de la gestion de la crise migratoire émergent déjà. D'un côté, Berlin propose des quotas obligatoires de répartition des réfugiés. L'idée est abandonnée au profit d'un accueil sur la base du volontariat. De l'autre, Paris pousse afin d'obtenir un feu vert de l'ONU pour intervenir en Libye, d'où partent les migrants, afin d'agir contre les passeurs. L'Allemagne, qui n'est pas présente au conseil de sécurité de l'ONU et se montre réticente dès qu'il s'agit d'intervenir à l'étranger, reste en retrait.
- Acte 2 : La France se crispe, l'Allemagne s'ouvre
Au mois de mai, la commission européenne relance l'idée des quotas obligatoires pour les pays membres. Paris réagit au quart de tour. "Ceci n'a jamais correspondu aux propositions françaises", assène le Premier ministre, Manuel Valls, le 16 mai. Selon lui, "la France a déjà fait beaucoup" et les suggestions de Bruxelles ne tiennent pas compte "des efforts déjà consentis par chacun". L'Hexagone penche pour une "répartition solidaire" mais ne veut pas entendre parler de seuil minimum de demandes d'asile à accepter.
Angela Merkel, elle, est favorable à des quotas qui permettraient concrètement de diminuer le nombre de réfugiés accueillis en Allemagne. Diplomate, la chancelière prône le dialogue pour "parvenir à une position commune franco-allemande dans un avenir proche". Elle obtient partiellement gain de cause, puisque les pays européens s'accordent sur des "clés" de répartition des migrants à la fin du mois de juin. Basée sur la bonne volonté de chaque pays, la méthode montre rapidement ses limites face à l'afflux migratoires, notamment sur les côtes grecques, pendant l'été. Une fois n'est pas coutume, Angela Merkel vient au secours du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, poussant l'Union européenne à agir. Son gouvernement fait des propositions concrètes, comme la création d'un "code d'asile européen".
Pendant que la France renâcle, à tel point que le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) l'enjoint à "prendre sa part, sa juste part pour une admission digne des réfugiés", l'Allemagne envoie un message politique bien différent. Angela Merkel lance le 18 juin un plan d'action pour veiller à une meilleure intégration de ses demandeurs d'asile. Mais c'est surtout l'ouverture des frontières allemandes, à la fin du mois d'août, qui illustre la différence d'approche entre Paris et Berlin. Un coup de canif dans les accords de Dublin qui prévoient, normalement, que les demandeurs d'asiles soient renvoyés dans le pays européen dans lequel ils sont arrivés. Les images de réfugiés accueillis à bras ouverts en Allemagne sidèrent la France.
- Acte 3 : L'heure du dégel
Dans ses discours, François Hollande affiche pourtant le même volontarisme qu'Angela Merkel. Le couple franco-allemand se rejoint sur certains points, notamment la nécessité d'un mécanisme permanent et obligatoire de répartition des réfugiés. A partir du 9 septembre, la France accueille ses premiers contingents de demandeurs d'asile venus d'Allemagne.
Même si, en coulisses, Berlin reproche à Paris son retard à l'allumage, le couple franco-allemand connaît une phase de dégel. La fermeture des frontières d'une Allemagne débordée par l'afflux de migrants gomme quelque peu les différends entre les deux pays. Et les attentats du 13 novembre permettent à François Hollande et Angela Merkel de renouer dans la douleur.
- Acte 4 : La rupture de Munich
Le couple franco-allemand prend de nouveau du plomb dans l'aile début 2016. Même fragilisée dans son pays après les agressions sexuelles de Cologne, un temps imputées (à tort) à des migrants, Angela Merkel se montre toujours plus pugnace que François Hollande. Et ne cesse d'appeler l'Europe à soulager la Grèce, qui accueille toujours plus de nouveaux réfugiés et se trouve aujourd'hui au bord de la crise humanitaire. Aujourd'hui, Paris reconnaît d'ailleurs que la France a été "un peu longue à mettre en place" des dispositifs d'accueil permettant de relocaliser les réfugiés sur son territoire.
C'est un déplacement de Manuel Valls à Munich, le 13 février, qui creuse le fossé entre Paris et Berlin. "Nos capacités d'accueil sont limitées. L'Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés", déclare le Premier ministre français, s'opposant ouvertement à la politique d'Angela Merkel en la matière. La critique passe mal Outre-Rhin. " C'est dans le besoin qu’on reconnaît ses vrais amis", réagit le quotidien allemand Tageszeitung le 15 février. Pour trouver une solution à la crise des réfugiés en Europe, par exemple. Mais visiblement, la serviabilité française a ses limites."
Le rendez-vous de vendredi a donc permis à François Hollande de tirer un trait sur les propos de son Premier ministre. Le chef de l'Etat avait déjà adressé un beau compliment à Angela Merkel dans son entretien au magazine Elle, affirmant que la chancelière "est un exemple de volonté et de réussite pour beaucoup de femmes". Cette fois, il lui a donné des gages, assurant que la France respecterait "l'ensemble de ses engagements" et accueillerait 30.000 réfugiés syriens et irakiens. "La France et l'Allemagne travaillent dans le même esprit, avec la même volonté", a-t-il affirmé.