Voilà désormais quatre mois que la loi El Khomri divise la classe politique et déchire les partis eux-mêmes. Le PS, bien sûr, mais aussi le Front national, dont les tensions internes semblent bel et bien avivées par le texte gouvernemental. Jusqu'ici, les responsables ne s'entendaient pas sur le fond du projet de loi. La manifestation de jeudi est l'occasion de montrer que les désaccords portent aussi sur la conduite à tenir face à la contestation sociale.
Demi-tour sur l'interdiction de manifester. De fait, Marine Le Pen a opéré une volte-face impressionnante sur la question de l'interdiction de manifester. Mercredi, la présidente du Front national a vivement réagi à la décision de la préfecture de police, qui avait choisi de ne pas autoriser le défilé parisien –avant que le gouvernement ne fasse finalement machine arrière. "L'interdiction des manifestations est une démission face aux casseurs et une atteinte grave à la démocratie", a écrit la candidate à l'élection présidentielle sur Twitter. Pourtant, le 20 mai dernier, Marine Le Pen tenait le discours exactement inverse au micro d'Europe 1. "En situation d'urgence, il n'y a pas de manifestation", avait-elle décrété.
L'interdiction des manifestations contre la #LoiTravail est une démission face aux casseurs et une atteinte grave à la démocratie. MLP
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) 22 juin 2016
Parti ouvrier contre maintien de l'ordre. Ce revirement, digne des atermoiements du gouvernement socialiste, montre à quel point le Front national a du mal à se positionner vis-à-vis de la loi Travail et des mouvements sociaux que génère le texte. Pour le politologue Thomas Guénolé, "le FN est mis en difficulté. D'un côté, il essaie d'adopter une posture de parti ouvrier", en disant défendre les salariés les plus modestes. Cette tendance l'encouragerait plutôt à soutenir les manifestations contre la loi Travail. "Mais une composante du parti tient plus que tout au maintien de l'ordre, ce qui oblige Marine Le Pen à faire des grands écarts", rappelle Thomas Guénolé.
Des amendements supprimés. Et la présidente du Front national se livre aux mêmes acrobaties sur le fond du projet de loi El Khomri. Officiellement, le parti est contre le texte parce qu'il le juge néfaste pour les salariés. Officieusement, certains au sein du FN en saluent les orientations libérales…voire les encouragent.
C'est le cas, par exemple, des députés Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard (Rassemblement bleu marine). Ces derniers avaient déposé plusieurs amendements d'inspiration libérale, notamment un pour doubler les seuils sociaux, lors de la première lecture de la loi à l'Assemblée. Pour éviter qu'ils ne récidivent en seconde lecture, Marine Le Pen a été obligée d'intervenir. Selon Le Canard Enchaîné, la présidente du Front national s'est fendue d'un SMS aux deux intéressés, leur demandant "de ne pas déposer les amendements par souci de cohésion politique et de contexte".
Philippot tape du poing sur la table. La même chose s'était produite au Sénat, où David Rachline et Stéphane Ravier avaient déposé les mêmes amendements que leurs camarades de parti députés. Amendements promptement retirés à la demande de la direction du parti. Pour justifier ce couac, Florian Philippot, interrogé jeudi sur France Inter, a parlé d'amendements "brouillons, écrits par des assistants parlementaires", qui n'étaient donc pas destinés à être déposés. "Le seul amendement valable sur cette loi, c'est un amendement de retrait pur et simple", a-t-il tranché. Une pirouette, alors que le parti a de plus en plus de mal à dissimuler ses tensions internes.