Aucun site internet, ni de compte de réseaux sociaux officiels. L’empreinte numérique de Wagner est quasi-inexistante. Et pourtant, le groupe russe de mercenaires privés est bien présent dans la guerre informationnelle qui se joue en Afrique. Des documents qu'Europe 1 s'est procurés attestent que les services de renseignement savent parfaitement où trouver les relais de la société militaire privée, même si ses sympathisants, voire ses membres, ont effacé les traces de leur appartenance sur leurs profils.
Une armée de l’ombre au service de Moscou qui entend légitimer l’action du groupe Wagner dans les pays où il est implanté et faciliter le recrutement de mercenaires russophones alors même qu’il peine à attirer de nouveaux effectifs.
Des militaires français pris en photo
En haut de l’affiche, figurent les comptes Telegram et VKontakte – l’équivalent russe de Facebook – de "The reverse side of the medal" (Le revers de la médaille). Sur Telegram, le compte est aujourd’hui suivi par plus de 60.000 abonnés. Et il a gagné 15.000 membres entre février et octobre dernier. Tous les jours, le compte diffuse à sa communauté russophone des images de mercenaires de Wagner en Afrique, au Moyen-Orient ou dans le Donbass.
Outre cette vitrine, ces mêmes contenus pro-Wagner sont également diffusés sur les réseaux sociaux "ciblant la population africaine et animés par du personnel local", écrivent les rédacteurs de ces documents. C’est le cas par exemple d’avatars centrafricains très actifs sur Facebook, "très probablement intégrés au dispositif de lutte informatique d’influence russe". A Bangui, dans la capitale du pays, des jeunes ont même été payés par des Russes pour prendre des photos de militaires français puis les diffuser sur les réseaux sociaux.
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Films et tee-shirts de propagande
Depuis un an, les actions de Wagner sont par ailleurs mises en scène dans des films et des dessins animés, assimilant les mercenaires russes à des héros qui protègent les populations locales. Cette conquête informationnelle s’appuie sur la société de production qui a diffusé le film Touriste, considéré comme une opération de propagande censée promouvoir l’action des "instructeurs" russes envoyés en République de Centrafrique (RCA). Plusieurs mercenaires présents dans le pays ont d’ailleurs, selon nos informations, fait office de figurants dans certaines scènes.
Le travail de sape va jusqu’à floquer des messages de propagande et des infographies, produits par une structure liée à Evgueni Prigogine – homme d’affaires à la tête de Wagner, proche de Vladimir Poutine et à l’origine de l’usine à trolls russes, l’Internet Research Agency – , sur des tee-shirts et les distribuer aux populations africaines. Comme en février dernier lorsque, selon nos informations, la mission russe en Centrafrique est allée jusqu’à octroyer ces vêtements au centre de formation de la gendarmerie de Bangui. Des tee-shirts traduits en langue sango, le mot "Wagner" ayant été remplacé par "Russie".
Un sondage truqué sur la situation politico-sécuritaire du Mali
Ce mode opératoire détecté en RCA s’est répété. Et notamment au Mali, puisque selon nos informations, un des principaux protagonistes et organisateurs de l’implantation de Wagner dans le pays, suivi de très près par les services de renseignement, a pris attache il y a deux mois avec des imprimeurs afin de lancer l’impression de tee-shirts pro-russes.
Toujours selon ces mêmes documents, Evgueni Prigogine va même jusqu’à manipuler l’opinion publique en finançant la "Fondation pour la protection des valeurs nationales". Au Mali, justement, l’organisme a publié le 28 septembre dernier un sondage sur la situation politico-sécuritaire du pays. Il a été réalisé auprès d’un millier de Maliens, "probablement choisis pour leur tendance pro-russe".
Les rédacteurs poursuivent : "Ce sondage a pour objectif de mettre en évidence une perception négative de l’opération Barkhane et une adhésion massive au déploiement de sociétés militaires privées. Et concluent : "Le Mali restera probablement une cible privilégiée de publication de contenus pro-russes, accompagnant ainsi l’activité de la société militaire privée dans le pays".