Voilà déjà deux mois et demi que la loi El Khomri cristallise les oppositions et les débats sont loin d'être terminés. L'Assemblée examine en effet le texte en séance à partir de mardi, avant un vote solennel le 17 mai. Deux semaines qui s'annoncent houleuses tant le projet de loi a réussi à s'attirer les foudres de la gauche comme de la droite.
Un texte déjà remanié. Pourtant, cette réforme, dont l'objectif affiché est de flexibiliser le code du Travail pour dynamiser les embauches, a déjà été revue et corrigée à plusieurs reprises. D'abord par le gouvernement lui-même, après le tollé suscité par l'avant-projet de loi. L'exécutif avait notamment abandonné plusieurs mesures très controversées, comme le plafonnement des indemnités prud'homales ou l'extension des heures de travail des apprentis sans autorisation préalable. Puis, c'était la commission des Affaires sociales qui s'était employée à amender le projet de loi pour le faire pencher à gauche, en renforçant le compte personnel d'activité ou en posant des conditions à la conclusion d'accords "offensifs" pour augmenter les cadences de travail.
Entre 40 et 80 voix manquantes. Ces évolutions n'ont pas eu l'effet escompté. Si la droite et le patronat, au départ favorables au texte, ont déploré un détricotage en règle, une partie de la gauche et des syndicats n'ont pas apporté leur soutien au projet pour autant. Privé des suffrages de la droite, incapable de rassembler toute la gauche, le gouvernement pourrait avoir du mal à réunir une majorité à l'Assemblée. "Il manque près de 40 voix pour voter la loi", a ainsi confié le rapporteur PS du texte, Christophe Sirugue, au Parisien lundi. Un chiffre encore sous-estimé, selon Yann Galut. "Je tablerais plutôt sur 80", a déclaré l'élu socialiste sur Twitter.
D'après mon collègue et ami @chsirugue il manquerait 40 voix pour adopter la Loi @MyriamElKhomri....je tablerais plutôt sur 80 ! #LoiTravail
— Yann Galut ن (@yanngalut) 2 mai 2016
Avertissement des frondeurs. À l'instar du député du Cher, les frondeurs ont multiplié les avertissements à l'adresse du gouvernement. Dans un communiqué, lundi, plusieurs d'entre eux ont estimé la loi "pas votable". "Ce projet n'est pas utile à la France et pour l'intérêt général, il n'est pas conforme aux réformes que l'on attend d'un gouvernement de gauche", ont-ils écrit. Dimanche, des proches de Martine Aubry, derrière l'ancien ministre délégué à la Ville François Lamy, avaient signé une tribune dans Libération pour appeler à "corriger le tir" pour "refaire du CDI la règle" en matière d'emploi.
"Réunir sur un texte de progrès". De leur côté, les partisans de la loi El Khomri veulent toujours croire à l'obtention d'une majorité. Le chef de file des députés PS, Bruno Le Roux, a ainsi dit "former l'espoir de pouvoir réunir sur un texte de progrès". Quant à Emmanuel Macron, il s'est dit certain que le texte allait "déboucher sur un équilibre dans les prochaines heures, dans les prochains jours", grâce au débat parlementaire. Ce qui permettra, selon le ministre de l'Économie, de rallier les députés de gauche encore sceptiques. Surtout, Myriam El Khomri, a multiplié les rencontres avec les frondeurs et les aubrystes ces derniers jours. Benoît Hamon, Laurent Baumel ou encore Jean-Marc Germain ont été reçus par la ministre du Travail. "On essaye la main tendue jusqu'au dernier moment", a expliqué le cabinet de la ministre auprès du Lab d'Europe 1.
" On essaye la main tendue jusqu'au dernier moment. "
Près de 5.000 amendements. De fait, plusieurs points doivent être précisés en séance, comme la question du référendum en entreprise, que Christophe Sirugue veut "clarifier", ou celle des licenciements économiques. Les députés PS souhaitent notamment pouvoir évaluer les difficultés d'une société "au niveau européen ou international" plutôt que dans le périmètre restreint de ses activités sur le sol français. Les débats promettent donc d'être animés, mais aussi de mobiliser les députés jusqu'à des heures indues. En effet, pas moins de 4.983 amendements ont été déposés sur la loi El Khomri, à peu près autant que sur la loi Taubira. À l'époque, le mariage pour tous avait occupé l'Assemblée nationale pendant près de 110 heures.
La menace du 49.3. Si le travail parlementaire ne permet pas d'outrepasser les divisions, il ne restera alors au gouvernement que la manière forte pour faire passer son projet de loi. L'article 49.3, qui permet d'adopter un texte sans vote, avait déjà été dégainé, en 2015, sur la loi Macron. D'abord évoqué par Myriam El Khomri, un passage en force sur la réforme du travail avait, depuis, été minimisé par plusieurs membres de l'exécutif. Mais selon l'hebdomadaire Le Point, ce plan B est considéré avec de plus en plus d'attention.