"Un triple souci de responsabilité, de représentativité et d'efficacité". C’est par ces mots que le Premier ministre, Edouard Philippe vantait début avril la réforme des institutions à laquelle entend s’attaquer le gouvernement. La première pierre de ce vaste chantier a été posée mercredi avec la présentation, devant le Conseil des ministres, du volet constitutionnel de la réforme - le plus consensuel -, qui regroupe notamment la suppression de la Cour de justice de la République, la fin de la désignation de droit des ex-chefs de l’Etat au Conseil constitutionnel, l’inscription dans la Constitution de "l’impératif de lutte contre le changement climatique" ou encore de la spécificité de la Corse.
A contrario, les volets organiques et ordinaires, qui passent actuellement à la loupe du Conseil d’Etat, soulèvent déjà de vives critiques. Au programme : accélération de la procédure législative, réduction du nombre d’amendements, contrôle de l’ordre du jour du Parlement par le gouvernement, diminution du nombre de parlementaires et limitation du nombre de mandats dans le temps. Autant de mesures dénoncées, notamment par la droite, comme une réduction du champ de manœuvre du législatif face à l’exécutif. "Jamais depuis 1958 une réforme n’a affaibli autant les pouvoirs du Parlement", s’est indigné Gérard Larcher, président du Sénat. De quoi se demander si, derrière cet encadrement du travail des représentants élus du peuple, ce n’est pas aussi, indirectement, le citoyen qui se trouve lésé.
Une proportionnelle sans effet ?
À ce stade, seules trois mesures dans ce projet de réforme sont susceptibles d’impacter directement la vie électorale des Français : la diminution du nombre de parlementaires, et le redécoupage électoral sous-jacent, ainsi que l’introduction d’un dose de proportionnelle.
Cette dernière est supposée garantir aux citoyens une meilleure prise en compte de leurs suffrages au sein des institutions. Devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, Emmanuel Macron plaidait pour l’introduction d’une dose de proportionnelle afin de permettre à "toutes les sensibilités [d’être] justement représentées". Mais depuis, le seuil de 15% fixé par l’exécutif a été jugé largement insuffisant par de nombreux responsables politiques. "C'est dérisoire, ça n'a pas de sens. Je pense que le débat doit faire progresser ce chiffre vers le haut", a notamment déploré François Bayrou au micro de RTL. Le patron du MoDem avait notamment soumis son soutien au candidat Macron à l’amélioration du pluralisme politique. De son côté, Marine Le Pen, favorable à une proportionnelle intégrale, a dénoncé sur Twitter une "aumône pour la démocratie alors que beaucoup de Français ne votent plus car ne se sentent plus représentés à l’Assemblée nationale".
En tenant compte de la réduction annoncée de 30% du nombre de députés, 61 sièges pourraient donc être élus à la proportionnelle lors de la prochaine législature. Sur plus de 400 députés, "c’est une proportion assez faible", relève auprès d’Europe 1 Dominique Chagnollaud président du Cercle des Constitutionnalistes. Rien de nature à fondamentalement bouleverser le processus électoral donc, ni la mise en place des équilibres politiques dans l'Hémicycle.
Le lien élu-territoire menacé par la réduction du nombre de parlementaires
Le gouvernement entend également baisser de 30% le nombre de parlementaires, soit faire passer le nombre de députés de 577 à 404 et le nombre de sénateurs de 348 à 244. "Un point négatif", pour Dominique Chagnollaud qui y voit un risque d’éloignement des élus de leurs administrés. "On a déjà créé des supers-régions [depuis la réforme territoriale de 2015, ndlr], et on va encore accentuer la fracture territoriale". Argument repris mercredi, sur notre antenne, par Adrien Quatennens, député LFI du Nord : "Y a-t-il trop de démocratie ? Y-a-t-il trop de parlementaires ?", a-t-il interrogé. "Quand vous allez suivre 42 communes ou plus dans votre circonscription, vous allez aussi éloigner les élus des citoyens", argue-t-il. Pour le constitutionnaliste Dominique Rousseau, également interrogé par Europe 1, ce raisonnement oublie que "d’un point de vue constitutionnel, le député est élu dans sa circonscription, mais pas de sa circonscription, pour un mandat qui n’est pas impératif mais représentatif". En clair, les élus du Palais Bourbon ne représentent pas leurs seuls électeurs mais l’ensemble de la nation. Par conséquence, évoquer le délitement du lien entre l’élu et son territoire d’élection ne tient pas au regard de la loi fondamentale.
Si le gouvernement assure que la réduction du nombre d’élus s’accompagnera, mécaniquement, d’une augmentation de leurs moyens, Dominique Chagnollaud n’imagine pas, quant à lui, une amélioration significative de leurs conditions de travail. "L’idée que les députés vont travailler mieux parce qu’ils auront davantage de collaborateurs est un conte de fée", balaye-t-il, rappelant que les congressmen américains, souvent cités en exemple car deux fois moins nombreux qu’en France pour un pays cinq fois plus peuplé, travaillent quant à eux avec plusieurs dizaines de collaborateurs.
Surtout, la réduction du nombre de parlementaires va obliger à un redécoupage de la carte électorale, qui devra passer par un élargissement des circonscriptions. Élargissement d’autant plus délicat à tracer que l’exécutif s’est engagé à maintenir au moins un député et un sénateur par département. "Il faut voir comment ils vont s’en sortir", relève Dominique Chagnollaud qui a également siégé à la Commission de contrôle du découpage électoral dans le cadre de la réforme de 2008. Pour cet universitaire, le risque, du point de vue du citoyen, est de voir neutraliser les effets déjà limités de la proportionnelle. "La reforme reprend d’une main ce qu’elle donne de l’autre, car l’élargissement des circonscriptions est toujours défavorable aux forces politiques minoritaires", constate le constitutionnaliste.
Un coup de griffe contre la démocratie représentative ?
Malgré ces différentes modifications apportées à la fabrication de la loi et aux règles électorales, les conséquences pour les Français restent limitées, comme le souligne l’ancien professeur de droit constitutionnel Didier Maus dans un entretien à Atlantico. "L’impact sur la vie des Françaises et des Français demeure très, très faible. Les citoyens ne sont guère concernés par les modalités du vote de la loi", relève ce spécialiste. "Les réformes envisagées pour le statut des élus ou leurs modalités d’élection ne figurant pas […] dans le projet de révision constitutionnelle il faudra attendre encore quelques semaines pour savoir si elles débouchent véritablement sur une nouvelle forme de démocratie", ajoute-t-il.
Auprès d’Europe 1, Dominique Challognaud use également de prudence. S’il considère que la réforme "affaiblit le Parlement, voire marque un retour en arrière par rapport à la réforme de 2008" qui entendait rééquilibrer ses prérogatives par rapport à l’exécutif, il estime, à ce stade, qu’"il serait un peu excessif de considérer qu’elle s’attaque à la démocratie représentative".
Faire intervenir le citoyen dans la fabrication de la loi
C’est un aspect de la réforme des institutions passé un peu inaperçu : la transformation du Conseil économique, social et environnemental (Cese) en une "Chambre de la participation citoyenne". Elle aura à charge de s’exprimer sur les projets de loi à caractère économique, social et environnemental avant qu’ils ne passent entre les mains des hauts fonctionnaires du Conseil d’Etat, mais aussi d’organiser des consultations à travers des pétitions, dont les conclusions seront transmises au Sénat et à l’Assemblée nationale.
"C’est un vrai plus", s’enthousiasme Dominique Rousseau, toujours auprès d’Europe 1. "Ce dispositif va permettre aux citoyens d’agir en dehors des moments électoraux et de participer à la fabrication de la loi, avant même les énarques !". Un bémol toutefois : si l’on sait déjà que cette "Chambre de la participation citoyenne" comptera deux fois moins de membres que l’actuel Cese (233), le mode de composition n’a pas encore été précisé et est renvoyé, pour l’heure, au volet organique de la réforme.