Le "bordel" de Macron : dérapage contrôlé ou sortie de route ?

© Ludovic MARIN / AFP
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La petite phrase lâchée mercredi par le chef de l’Etat déclenche les foudres de l’opposition, une certaine cacophonie dans son camp et occulte une séquence de communication. Et pourtant…

Après les "illettrées", le "costard", les "fainéants", c’est le "bordel"… Emmanuel Macron a une nouvelle fois déclenché la polémique avec une petite phrase dont il devient coutumier. Mercredi en Corrèze, le président de la République a déclaré, à propos des manifestants de GM&S et en référence à une fonderie voisine en mal d’employés : "Y’en a certains, au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux d’aller regarder si ils peuvent pas avoir des postes là-bas, parce qu’ils ont les qualifications pour le faire".

Comme attendu, le tollé a été immédiat dans l’opposition, et l’embarras palpable dans le camp du chef de l’Etat. D’autant que l’épisode vient court-circuiter une semaine au cours de laquelle le président de la République devait montrer qu’il se souvient aussi des plus défavorisés.

Pourtant, la sortie n’est pas forcément si incontrôlée que cela.

La fin de Jupiter

Car l’emploi d’un mot aussi familier s’inscrit dans une stratégie plus globale, selon Philippe Moreau-Chevrolet, professeur en communication politique. "Cette phrase a été prononcée délibérément. Il y a des caméras et des micros, il sait que ça va sortir", tranche dans L’Express le président de MCBG Conseil. "Cette sortie transgressive doit lui permettre, du moins c'est ce qu'il espère, de se rapprocher des Français en cassant son image lisse de banquier élitiste. Le style est volontairement populaire, voire populiste. Il cherche à se construire une image".

 

Cela illustre surtout le virage à 180 degrés pris par Emmanuel Macron depuis la rentrée. A peine élu, le tout frais président de la République avait annoncé qu’en termes de communication, il se ferait rare, pour que ses prises de paroles aient plus de poids. Lui-même avait théorisé la "présidence jupitérienne". Résultat : une nette chute de sa popularité. "Emmanuel Macron a pu constater que la stature ‘jupitérienne’ ne fonctionnait pas auprès des Français. Ses dernières déclarations lui confèrent une image plus proche du peuple", juge Philippe Moreau-Chevrolet.

"Enerver, exciter les Insoumis"

Pour Arnaud Mercier, spécialiste de la communication politique, il y a une autre explication, si d’aventure la petite phrase a été prononcée à dessein. "Il y a peut-être quelque chose de l’ordre du délibéré dans la volonté d’énerver, d’exciter un petit peu plus la gauche de la gauche et les Insoumis" explique à europe1.fr ce professeur à l’Institut français de presse. "En se faisant l’ennemi de classe de Jean-Luc Mélenchon, il marque des points auprès de l’électorat de droite et du centre droit. Il se nourrit du sentiment de colère des Insoumis pour apparaître modéré."

Une séquence "jambe gauche" cassée

Pour autant, Arnaud Mercier est "sceptique". "J’ai du mal à admettre qu’il fasse ce choix dès lors que ce qu’il gagne d’un côté, il le perd de l’autre", analyse-t-il. Car à l’origine, la semaine d’Emmanuel Macron où il se souciait de sa "jambe gauche", où il montrait qu’il oeuvrait aussi pour les plus défavorisés. L’idée, c’était de répondre à l’accusation de "président des riches" proférée par l’opposition de gauche suite notamment à la réforme  annoncée de l’ISF. "Il voulait casser cette petite musique. Or là, il alimente cette image, mais il y a pire : il alimente aussi l’image, née après ses déclarations sur les ‘illettrées’ ou sur le ‘costard’, d’un président méprisant vis-à-vis des petites gens. Et ça, c’est extrêmement négatif pour lui", estime Arnaud Mercier.

"Mon avis n’est pas définitif, mais j’en viens à penser qu’il s’agit là de quelque chose de l’ordre d’une certaine perte de contrôle, d’un défaut de maîtrise du véhicule", conclut le spécialiste. Un sentiment alimenté par les réactions en ordre dispersé des soutiens d’Emmanuel Macron. Dans un premier temps, Aurore Bergé a réagi sur le thème de la responsabilité. "Il dit qu’il y a du boulot, de l’emploi, des solutions qui existent. Il dit que chacun doit prendre ses responsabilités. Il dit ni plus ni moins que cela : Chacun est placé devant ses responsabilités parce que des solutions existent", a assuré dès mercredi soir la députée des Yvelines.

Jeudi matin, Christophe Castaner a utilisé un autre angle de défense. "Le président de la République a utilisé dans une conversation privée avec le président de la région Aquitaine un mot qui provoque le débat, mais est-ce qu'il n'y a pas de nombreux Français qui pensent cela?", s’est interrogé le porte-parole du gouvernement sur Radio Classique. Et d’ajouter : "On peut être cultivé et parler comme les Français". De l’art de justifier des propos que d’aucuns jugent maladroits avec peut-être encore plus de maladresse.

 

UPDATE JEUDI 18H

Emmanuel Macron "assume sur le fond" ses propos tenus mercredi en Corrèze tout en reconnaissant qu'il n'aurait pas utilisé le mot "bordel", un "mot familier", dans le cadre d'un discours officiel, ont confié jeudi des proches du président de la République. Plus d'infos ici