C'est un gros coup dur pour la majorité : le conseil constitutionnel a censuré jeudi une grande partie de la loi sur la lutte contre la haine en ligne, portée par La République en Marche et adoptée il y a un mois. Les "Sages" ont notamment jugé que certaines obligations à la charge des opérateurs de plateformes internet étaient attentatoires à la liberté d'expression et de communication. La loi, qui doit entrer en application au 1er juillet, ne contiendra donc quasiment aucune obligation pour les plateformes et aucune sanction pénale.
Crainte d'un risque de suppressions abusives de contenus
Concrètement, le Conseil a considéré que si le but de loi était le bon, les moyens eux, n'étaient pas adaptés et qu'ainsi certaines dispositions pouvaient "inciter les opérateurs à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites", et a jugé "particulièrement bref" le délai de 24 heures imposé à certains opérateurs, "sous peine de sanction pénale", pour "retirer ou rendre inaccessibles des contenus manifestement illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel". Il a ainsi considéré que "le législateur a porté à la liberté d'expression une atteinte qui n'est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi".
Autrement dit, les "Sages" craignent qu’avec cette contrainte légale, les plateformes en viennent à supprimer trop de contenus par simple précaution. C'est également dans cet esprit qu'ils ont rayé la disposition prévoyant un retrait en une heure pour les contenus terroristes ou pédopornographiques en cas de notification par les autorités publiques. Problème : ces deux dispositions censurées étaient les piliers du texte, et leur censure vide de sa substance la quasi totalité de la loi. Seul le volet préventif est intact, notamment l’obligation pour les plateformes de mettre en place un bouton pour signaler les contenus haineux.
La majorité cherche une solution, l'opposition se réjouit
Les opposants à loi ont immédiatement applaudi cet avis du Conseil constitutionnel. "La loi Avia très largement censurée suite à la saisine du groupe LR au Sénat. Il n'y a quasiment que le titre qui est constitutionnel…", a réagi sur Twitter le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau. "La censure ne sera pas confiée aux GAFAM. Tous ceux qui sont attachés à la liberté devraient s'en réjouir", a-t-il ajouté. "Lourde défaite pour Belloubet. La loi Avia contre la haine en ligne est quasi entièrement censurée par le Conseil constitutionnel. La volonté liberticide en échec", a affirmé pour sa part le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon.
Cette censure est un désaveu pour tous ceux qui font profession de bien-pensance et qui ne cessent de faire la morale aux Français en voulant leur dicter ce qu’ils doivent penser. https://t.co/bnCj1eR6y7
— Bruno Retailleau (@BrunoRetailleau) June 18, 2020
Au sein de la majorité, on tente de minimiser cette censure. "La loi n'est pas affaiblie. Le CSA aura quand même un pouvoir de contrôle sur les GAFAM", explique un poids lourd de la majorité interrogé par Europe 1. De son côté, Laetitia Avia, qui avait porté cette proposition de loi, s'est également exprimée dans un communiqué. Déçue, la députée LREM prend acte de l’avis du conseil constitutionnel mais assure "ne pas renoncer à ce combat pour la protection des internautes". Elle estime ainsi que les remarques des Sages serviront malgré tout de "feuille de route" pour l’observatoire de la haine en ligne et le parquet judiciaire spécialisé, deux instances nées avec ce texte.
"La solution adoptée n'est peut-être pas la bonne" a reconnu jeudi soir Laetitia Avia, sur RTL. Mais la députée veut croire que les travaux de l'observatoire de la haine en ligne, qui réunira tous les acteurs impliqués (plateformes, administration, associations, Éducation nationale, etc.) "aideront peut-être à améliorer un prochain véhicule législatif". Cette instance doit débuter son activité en juillet. "Il y a encore beaucoup d'éléments sur lesquels on peut avancer", a insisté la députée, assurant au passage qu'elle a "la volonté" de faire réécrire les articles censurés. Quant au gouvernement, il devrait, selon nos informations, se prononcer rapidement sur la suite à donner à cette loi.