C’est une petite phrase, comprise dans l’article 3 du projet de loi habilitant le gouvernement, mais aux conséquences potentielles immenses. Les députés ont autorisé dans la nuit de mercredi à jeudi, par 155 voix contre 21, le gouvernement d’autoriser notamment par ordonnances "le recours aux contrats à durée indéterminée conclus pour la durée d’un chantier ou d’une opération". Ces "CDI de projet" ont été ardemment combattus par l’opposition, Insoumis et communistes en tête, qui les considèrent trop favorables au patronat par rapport aux salariés.
"Une trappe de la précarité". Le communiste Pierre Dharréville y a vu l'ouverture accrue de la "trappe de la précarité", tandis que l'Insoumis Eric Coquerel a dit ne pas comprendre "ce qu'il y avait d'indéterminé" dans ce contrat. Au nom des députés Nouvelle Gauche, le socialiste Boris Vallaud s'est lui demandé s'il ne s'agissait pas de "contourner" le CDI plus contraignant. Quant au FN Ludovic Pajot, il s'est aussi opposé à un "contrat de mercenariat" qui "pourrait faire entrer la France dans le règne du salariat jetable".
La ministre du Travail Muriel Penicaud, chargée de défendre le texte, a quant à elle souligné que ces contrats étaient bien des CDI, une mention permettant "d'emprunter" et de se "loger, ce qui est le drame des jeunes". Elle avait estimé plus tôt que "de façon très mesurée et très encadrée", cela pourrait "permettre à des intérimaires et à des CDD de sortir de la précarité pour aller vers le CDI". C’est sans surprise elle qui a eu gain de cause.
Un contrat largement utilisé dans le bâtiment. Le contrat de chantier, qui, étendu, deviendrait un contrat de projet, est actuellement essentiellement utilisé dans le bâtiment. Il s’agit bien d’un contrat à durée indéterminée, puisque sa date de fin n’est pas connue. En effet, l’employeur qui y a recours dispose avec ce contrat d’une flexibilité dans le cadre de tâches dont la durée, pour diverses raisons, peut être aléatoire. Et quand effectivement le chantier se termine, il peut se séparer en toute légalité de son employé, sans justifier du licenciement et sans risquer d’être attaqué aux prud’hommes. En outre, il n’est pas tenu de verser une prime de précarité, puisqu’il ne s’agit pas d’un CDD. En revanche, l’employeur a tout de même l’obligation de chercher un autre chantier pour continuer de faire travailler son salarié.
Reste à savoir si toutes ces dispositions légales seront appliquées à l’élargissement du CDI de chantier. Il faudra pour cela attendre le résultat des négociations menées entre le gouvernement et les syndicats. Et du bon vouloir d’Edouard Philippe de lâcher du lest sur cette question. Car sur ce sujet comme sur les autres, le gouvernement, légitimé par l’Assemblée, est en position de force.