À le voir en marche (littéralement) sur son estrade, on l’aurait plus aisément pris pour le PDG d’une grande marque de téléphonie américaine que pour un homme politique en plein meeting. Mardi soir, à la Mutualité de Paris, devant les "plus de 3.000 personnes" venues assister à la première réunion publique du mouvement En Marche ! depuis son lancement, Emmanuel Macron a présenté la dernière version, non d’un smartphone ou d’une tablette, mais d’une campagne présidentielle.
Scénographie étudiée. Sans micro à la main, sans cravate ni pupitre, sans notes et souvent sans jeter un œil à son prompteur, le ministre de l’Économie a ringardisé l’exercice du meeting tandis qu’il essayait d’en faire de même du "système" politique. Tout, dans la scénographie particulièrement travaillée de l’événement, soulignait cette soif de modernisation. D’abord simplement installé au premier rang, Emmanuel Macron a laissé la parole à ces entrepreneurs, président de chambre des métiers, écrivains ou "marcheurs" adhérents de son mouvement qui occupaient largement l'estrade. Et c'est à ces représentants de la société civile qu'il s'est adressé directement, à plusieurs reprises pendant son discours, tournant le dos au public.
Accueilli comme une rock-star. Le story-telling que le patron de Bercy a eu le temps d'écrire ces derniers mois est parfaitement huilé. "J'ai décidé de rentrer à cause de vous", souligne une start-uppeuse autrefois exilée dans la Silicon Valley. "Vous êtes différent", abonde Patrick Toulmet, président de la chambre des métiers et de l'artisanat de la Seine-Saint-Denis. "Un ministre, en général, ça se met sur la pointe des pieds pour paraître plus grand. Vous, vous vous êtes accroupi pour me parler", lance cet ancien conseiller régional UDI qui est en fauteuil roulant. Émotions, tressage de lauriers et petites anecdotes de belles rencontres en porte-à-porte : le meeting prend des allures de show à l'américaine. Et, de fait, Emmanuel Macron est accueilli sur scène comme une rock-star par une assemblée survoltée.
Opération ringardisation. L'opération de ringardisation se poursuit alors sur le fond. Emmanuel Macron synthétise en un discours de plus d'1h20 ce qu'il distillait çà et là ces dernières semaines au gré de déplacements ministériels. Pas question pour lui de danser la "chorégraphie" classique de la politique en passant par une primaire ou en sacrifiant ses convictions sur l'autel du compromis. Devant un parterre majoritairement composé de cadres dynamiques, d'étudiants et de quadragénaires en costumes, le ministre fustige un "système ancien, usé, fatigué" dont "il faut changer". Et égratigne, tantôt à demi-mots, tantôt sans filtre, un gouvernement qu'il juge en retard sur les changements du monde et les aspirations citoyennes.
Banderilles contre le gouvernement. "La loi Travail, ça n'est déjà plus le combat d'aujourd'hui", lance-t-il alors que quelques dizaines de militants opposés au texte étaient venus perturber l'entrée du meeting. Sans jamais citer le Premier ministre, l'ancien secrétaire général de l'Élysée s'oppose à lui sur le voile à l'université, qu'il ne veut pas interdire, comme sur Rocard, qu'il se refuse à récupérer. Certes, Emmanuel Macron a une caresse à l'endroit de François Hollande, qui lui "a fait confiance" en le nommant à Bercy. "Je ne l'en remercierai jamais assez." Mais cela ne l'empêche pas de reprendre le mantra de la droite, qui préconise de "dire avant ce que l'on va faire après", pour tacler le président : "Quand on avance à couvert, on a du mal à convaincre."
Anti-système. Dans cette réinterprétation de la querelle des anciens et des modernes, Emmanuel Macron, bien décidé à se ranger parmi les seconds, joue aussi la carte de la victimisation. L'histoire de son mouvement "dérange" ? C'est "parce qu'elle vient contrarier l'ordre établi, parce qu'elle inquiète le système". "Il y aura de la pluie, des quolibets, on sera critiqués, mais rien ne doit nous arrêter", lance-t-il, promettant "d'autres meetings" quand Manuel Valls, lui, aurait voulu que "cela s'arrête". Au départ divisée entre les conquis de la première heure et les curieux, la foule qui scande "Merci", "Bravo" et "Macron, président" semble désormais toute entière acquise à sa cause.
" Il y aura de la pluie, des quolibets, on sera critiqués, mais rien ne doit nous arrêter. "
Beaucoup de sujets, peu de propositions. De président, Emmanuel Macron adopte la capacité à balayer tous les sujets, de l'école à la laïcité en passant par l'Europe, la menace djihadiste, l'environnement ou l'identité. Autant de sorties fulgurantes hors de son périmètre ministériel qui ont, en revanche, bien du mal à se solder par des propositions concrètes. Le ministre de l'Économie refuse de parler de "programme" et préfère "plan de transformation" mais le changement de vocabulaire s'accommode très bien du vide. Qu'importe, Emmanuel Macron se concentre sur le "diagnostic". Et aurait, de toute façon, bien du mal à aller plus loin, bridé comme il l'est par sa position singulière de ministre en exercice à la tête d'un mouvement qu'il compte pourtant porter "jusqu'à la victoire" de 2017.
La démission au bout des lèvres. Car ceux qui, à l'instar de l'écrivain Alexandre Jardin, avaient réclamé une clarification, ne peuvent qu'être déçus. Jusqu'au bout, Emmanuel Macron a semblé avoir la démission au bout des lèvres. Comme lorsqu'il a indiqué qu'il ferait, avec En Marche!, des déplacements en régions "à la fin de l'été". Ou lorsqu'il a désigné l'élection présidentielle de 2017 comme "une occasion d'avancer que nous allons saisir ensemble". "Nous allons prendre tous les risques, et je les prendrai avec vous", a-t-il lancé. "Ce mouvement, plus rien ne l'arrêtera, parce que c'est le mouvement de l'espoir. Notre pays en a besoin et nous le porterons jusqu'en 2017, jusqu'à la victoire."
" Ce mouvement, plus rien ne l'arrêtera, parce que c'est le mouvement de l'espoir. Notre pays en a besoin et nous le porterons jusqu'en 2017. "
Resté au milieu du Rubicon, Emmanuel Macron pourrait bien être obligé de le traverser (enfin) mercredi, quand se tiendra un Conseil des ministres qui s'annonce houleux. Il serait d'ailleurs plus aisé, pour celui qui ne veut pas donner l'impression de "quitter le bateau à un moment où c'est difficile", d'être remercié par François Hollande que de trouver la bonne occasion pour tirer sa révérence. En attendant, celui qui est toujours locataire du troisième étage de Bercy vient d'inventer un nouveau concept : celui de la campagne sans candidat.