"Il faut qu'elle enlève son 'gilet jaune'. Elle a créé un parti politique, c'était pas le moment. [L'objectif] c'était de faire le buzz ? Et bien vous avez fait le buzz. Pourquoi vous avez ça dans le dos des gens ? Vous êtes une vraie femme politisée, vous pouvez enlever votre gilet jaune. Vous avez même eu le culot d'appeler votre parti le RIC !" Ces mots durs ont été adressés jeudi soir par Evelyne Liberal, "gilet jaune", à Ingrid Levavasseur, également "gilet jaune" et désormais tête de liste aux élections européennes. Ils ont brutalement fait monter la tension sur le plateau de "L'Emission politique" de France 2. Et illustré les divisions qui agitent les rangs des "gilets jaunes", à la veille de leur "acte 11" prévu samedi.
Ceux qui veulent jouer le jeu des institutions. D'un côté, on retrouve donc Ingrid Levavasseur, les neuf autres candidats de la liste "gilets jaunes" aux européennes, sous l'étiquette RIC (pour "rassemblement d'initiative citoyenne"), et leur directeur de campagne. Cette aide-soignante de 31 ans, originaire de l'Eure, fait figure de "modérée" dans le mouvement. Avec ses camarades qui se lancent en politique, elle fait partie de ceux persuadés qu'il faut jouer le jeu des institutions et de la démocratie pour prendre peu à peu la place des dirigeants actuels. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, parmi les dix premiers candidats annoncés, on en retrouve plusieurs qui sont ou ont été engagés en politique.
" C'est bien beau de mener une révolte, mais qu'est-ce qu'on fait après ? "
Ingrid Levavasseur estime donc que le combat des ronds-points doit se poursuivre dans les urnes. C'est ce qu'elle a expliqué, vendredi sur LCI, répondant une nouvelle fois aux "gilets jaunes" qui l'accusent de trahison. "Pour moi, ce sont des personnes qui sont en souffrance et qui n'ont pas compris réellement le sens de l'enjeu", a-t-elle déclaré. "Qu'est-ce qu'on fait après ? C'est bien beau de mener une révolte, mais qu'est-ce qu'on fait après ?"
Elle n'est pas la seule à se tourner vers la politique. Jacline Mouraud, qui s'était fait connaître au tout début de la contestation avec une vidéo Facebook dans laquelle elle demandait à Emmanuel Macron ce qu'il "fai[sai]t du pognon", a elle aussi fondé un parti politique, "Les Emergents". Mais elle vise les municipales 2020, et non les européennes.
Le club des radicaux. Face à la constitution de cette liste, de nombreux "gilets jaunes" ont réagi de manière virulente. Parmi eux, Eric Drouet et Maxime Nicolle, deux figures qui ont largement émergé sur les réseaux sociaux. Tous deux incarnent une frange plus radicale du mouvement, désireuse de diversifier les moyens d'action. Par exemple, Eric Drouet est pour organiser, samedi 9 février, un rassemblement de 24 heures sans interruption, nuit incluse. Il est également favorable à la mise en place d'une grève illimitée à partir du 5 février.
" La politique, c'est de la connerie, ça tue l'humain. Vous n'avez rien compris. "
Maxime Nicolle, de son côté, a vertement critiqué la constitution d'une liste "gilets jaunes" pour les européennes. "Les européennes, c'est rester dans le système", a-t-il fustigé dans une vidéo publiée mercredi. "La politique, c'est de la connerie, ça tue l'humain. Vous n'avez rien compris, et en plus vous prenez les gens pour des cons."
Et au milieu, Priscillia Ludosky. À mi-chemin entre Eric Drouet et Ingrid Levavasseur, on retrouve une figure qui parvient encore à jouer la conciliation : Priscillia Ludosky. Cette auto-entrepreneuse de 31 ans s'est, depuis le début du mouvement, appliquée à jouer le jeu du dialogue sans faiblir au niveau des revendications. Elle a ainsi été auditionnée par le Conseil économique, social et environnemental dans le cadre d'un travail sur les "fractures et transitions : réconcilier la France". Mais a fustigé le "grand débat national" d'Emmanuel Macron. Elle appelle, encore et toujours, à manifester les samedis et même les dimanches pour des rassemblements spécifiquement féminins. Mais refuse de s'engager du côté des manifestations nocturnes, potentiellement dangereuses. Enfin, la constitution d'une liste aux européennes lui semble "prématurée" et contre-productive", mais la jeune femme est restée relativement discrète sur le sujet, évitant de verser dans l'invective. Si elle a définitivement coupé les ponts avec Eric Drouet, l'accusant de nuire à la crédibilité du mouvement, elle a encore des contacts avec Maxime Nicolle, avec lequel elle manifeste régulièrement.
" On fait comme les politiciens, on se tire dans les pattes même dans notre propre camp. "
Les marginaux. D'autres voix de "gilets jaunes" se font entendre au-dessus de la foule pour porter des idées différentes, qui ne font pas toujours l'unanimité. C'est le cas de celle de Sylvain Baron, un ancien militant UPR parti très vite à l'assaut des médias, et notamment de BFM TV. Il avait notamment interpellé Céline Pigalle, la rédactrice en chef de la chaîne d'information en continu. Sylvain Baron a également écrit une lettre pour réclamer le "secours de l'armée" afin de "neutraliser ou mettre en fuite Emmanuel Macron et son actuel gouvernement".
Benjamin Cauchy est également un "gilet jaune" au message singulier. Lui se revendique ouvertement "souverainiste" et n'exclut d'ailleurs pas de présenter une liste aux européennes en suivant cette ligne. Il pourrait aussi rejoindre Nicolas Dupont-Aignan et son parti, Debout la France. Benjamin Cauchy a également suggéré sur son compte Twitter de décaler les manifestations au dimanche pour "permettre aux commerçants et aux salariés du samedi de redevenir des 'gilets jaunes'".
C'est donc en ordre dispersé que les "gilets jaunes" s'apprêtent à vivre l'acte 11 de leur mouvement, samedi. Ce qu'Ingrid Levavasseur a d'ailleurs regretté, mercredi, dans "L'Emission politique" : "C'est merveilleux, on est en train de faire de la politique. On fait comme les politiciens, on se tire dans les pattes même dans notre propre camp."
Plusieurs mobilisations prévues dans la capitale. Comme lors des précédents actes, plusieurs mobilisations sont prévues dans la capitale, dont une marche déclarée à la préfecture reliant les Champs-Élysées et la Bastille en passant par l'Assemblée nationale et Bercy, et une autre entre les places de la Nation et de la Bastille avec "une petite surprise à Benjamin Griveaux".