Il flotte à l'Assemblée nationale une ambiance étrange que certains, au Parlement, n'hésitent plus à qualifier de "fin de règne". Alors que les députés examinent cette semaine le projet de loi de finances 2017, le ministre de l'Économie et du Budget voient leur majorité se déliter sous leurs yeux. Mis en difficulté par une partie de la gauche qui vote des amendements contre leur avis, poussés au compromis sur plusieurs mesures, Michel Sapin et Christian Eckert ont toutes les peines du monde à maintenir l'ordre dans leurs troupes.
Débats autour de la "taxe YouTube". Vendredi, de houleux débats se sont engagés autour de la taxe surnommée "YouTube", qui doit permettre de prélever 2% sur les sites internet mettant à disposition, gratuitement ou non, des vidéos. Le gouvernement était totalement opposé à cette mesure, estimant d'une part qu'une telle taxation devait être décidée au niveau européen, d'autre part qu'elle était impossible à réclamer aux géants du web tels que Google, le propriétaire de YouTube, dont le siège n'est pas en France.
Si, finalement, l'exécutif a obtenu gain de cause avec le rejet de cet amendement, il n'en a pas moins été chahuté par plusieurs députés de sa majorité. Au premier rang desquels la socialiste Karine Berger. La députée des Hautes-Alpes a ainsi estimé que, si cette taxation n'était pas adoptée, "des concurrents européens ne survivront pas face aux géants américains" que sont Google, Apple, Facebook ou Amazon.
Poussé au compromis. Plus tôt dans la semaine, le gouvernement a dû se livrer à des bras de fer plus difficiles encore. Concernant l'abaissement de l'impôt sur les sociétés d'abord. L'exécutif avait prévu de le mettre en place progressivement pour toutes les entreprises. Mais la gauche de la gauche, elle, a voulu, par le biais d'un amendement adopté en commission, le réserver aux PME et l'amplifier. Amendement très soutenu par les frondeurs socialistes, alors que les troupes des "loyalistes", elles, étaient plus clairsemées que prévues.
Après une suspension de séance, le gouvernement a été contraint, mercredi, d'accepter le compromis proposé par son aile gauche : une réduction d'impôts plus importante pour les PME et une réduction progressive pour les plus grosses entreprises. Ce qui coûtera bien sûr plus cher, mais a permis à Michel Sapin d'éviter un psychodrame.
Rupture sur les attributions gratuites d'actions. Le ministre n'a pas réussi, en revanche, à éviter la rupture sur la mesure controversée examinée plus tard dans la soirée : les attributions gratuites d'actions. La commission des finances, suivant encore une fois les propositions de certains socialistes, avait adopté un amendement pour taxer ces dispositifs, apparus dans la loi Macron. Motif : les attributions gratuites d'actions, qui devaient d'abord bénéficier aux start-ups, ont en réalité permis à de grands groupes de rémunérer leurs dirigeants grâce à une fiscalité avantageuse. Le gouvernement a, de nouveau, tenté un compromis. En vain cette fois, puisque son amendement a été rejeté par 32 voix contre 27. Et celui de Valérie Rabault, rapporteure du Budget, adopté dans la foulée. Premier gros revers pour l'exécutif quand Karine Berger, elle, se réjouissait d'avoir "gagné" sur les réseaux sociaux.
Très heureuse d'annoncer aux PME (Ca<50M) qu'on a gagné : taux IS à 15% en 2019 voté ! Progressivité fiscale / efficacité @CGPMEnationale
— Karine Berger (@Karine_Berger) 19 octobre 2016
Un vote contre le gouvernement sous les applaudissements. Les frondeurs ont ensuite enfoncé le clou lors de l'examen de leurs amendements concernant la taxe sur les transactions financières. Eux veulent étendre et augmenter la taxe, afin de gonfler les fonds destinés à l'Aide au développement. Le gouvernement, lui, s'y oppose. Là encore, Michel Sapin a tenté le compromis, promettant notamment d'allouer 150 millions d'euros supplémentaires à l'aide au développement. Mais l'aile gauche de sa majorité a opté pour le passage en force, réussissant à faire voter son amendement avec deux voix de droite sous les applaudissements. Pascal Cherki, auteur de l'amendement en question, s'en est immédiatement félicité sur Twitter.
Merci à @VigierPhilippe pour son vote courageux en faveur de l'introduction de l'intraday dans l'assiette de la TTF.
— Pascal Cherki (@pascalcherki) 20 octobre 2016
Rejet peu probable. Ces multiples difficultés laissent-elles présager un rejet du projet de budget ? Une telle issue serait catastrophique pour le gouvernement, tant ce texte, par ailleurs le dernier du genre du quinquennat, est capital. La menace d'une trop forte abstention, voire d'une opposition, de la part des frondeurs, a d'ailleurs plané sur plusieurs projets de loi de finances les années précédentes.
Néanmoins, un rejet reste peu probable. D'abord parce que le gouvernement peut toujours invoquer un "vote bloqué", c'est-à-dire demander aux parlementaires de se prononcer sur le texte "en bloc", et non amendement par amendement. Dès lors, la probabilité de se heurter à une opposition est moindre.
Ensuite, même au plus fort de la fronde (39 abstentions fin 2014 sur le budget 2015), les frondeurs n'ont jamais réussi à faire capoter un projet de loi de finances. Alors que leur grogne semble être en voie d'apaisement ("seulement" 18 abstentions fin 2015 sur le budget 2016), il est peu probable qu'ils se lancent dans cette entreprise risquée sur un texte prévoyant tout de même des mesures de relance qu'ils réclament. Et ce d'autant moins que les législatives de juin approchent, et que toute rébellion pourrait bien compromettre une investiture.