La laïcité continue de s’affirmer comme l’un des principaux points de fracture au sein de la majorité présidentielle. Les députés ont procédé dans la nuit de mardi à mercredi au retrait des associations cultuelles de la liste des lobbies, en rejetant de justesse (88 voix contre 85) un amendement défendu par près de 80 élus LREM et Modem, ainsi que par les socialistes.
L’Assemblée nationale examinait en nouvelle lecture le projet de loi "pour un État au service d’une société de confiance ", porté par le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin. Dans le viseur des députés soutiens de l’amendement, l’article 38 du texte qui proposait d’abroger une disposition de la loi Sapin II "sur la transparence de la vie, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique", votée en 2016.
Depuis cette loi "les associations à objet cultuel" sont répertoriées comme tout lobby ou groupe d’intérêt auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), tout comme leurs interactions avec les hommes politiques. Mais par ce retrait, le gouvernement veut "instaurer un climat de confiance" avec les représentants des cultes.
Des pressions au sein du groupe parlementaire ? Dès mars, la défiance a commencé à gagner les rangs de la majorité. Au total, près de 80 députés LREM et MoDem ont défendu l’amendement porté par la députée de Seine-Maritime Stéphanie Kerbarh et Jean-Louis Touraine, député du Rhône. Les associations religieuses "sollicitent régulièrement les administrations publiques, le gouvernement, les élus (...) pour les sensibiliser à leurs opinions et tenter d’influer leur prise de décision. Dans ce cadre, elles sont donc bien des représentantes d’intérêts", explique l’amendement. Parmi les signataires, on retrouve notamment plusieurs figures de l’aile gauche de LREM, comme Sonia Krimi, François-Michel Lambert, ou la présidente de la commission des Affaires sociales Brigitte Bourguignon, qui avaient tous fait part de leur malaise concernant le projet de loi asile et immigration, mais également la porte-parole du groupe Aurore Bergé ou encore Guillaume Chiche, proche de l’exécutif.
De quoi provoquer de nouvelles tensions au sein d’un groupe peu habitué aux frondes ? Selon Le Figaro, lors d’une réunion de groupe "le président Richard Ferrand et le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement ont tenté de dissuader les députés de défendre leur amendement". Des pressions démenties par Stéphanie Kerbarh auprès de Marianne : "Il n’y a pas de pression au sein du groupe parlementaire, le débat et les échanges y restent ouverts", a-t-elle éludé.
Des débats à venir autour de la PMA et de la fin de vie. Reste que ces débats électriques démontrent une nouvelle fois que toute la majorité ne s’accorde pas sur la question de la laïcité, comme l'avaient déjà montré les débats internes autour du discours d’Emmanuel Macron devant les Évêques de France au collège des Bernardins. Mardi, le jour du rejet de l’amendement, le président de la République était d’ailleurs en déplacement… au Vatican, où il a rencontré le Pape François et reçu le titre honorifique de chanoine de Latran.
Or après l’importante mobilisation de l’Église catholique au moment du mariage pour tous, et alors que le gouvernement s’apprête à ouvrir des débats sensibles notamment autour de la PMA ou de la fin de vie, les signataires s’inquiètent des conséquences du retrait des religions de la liste des lobbies
"Des questions comme la bioéthique, la fin de vie ou la PMA sont actuellement au cœur du débat public", note l’amendement. "Sur ces questions majeures pour la société, les associations à objet cultuel ont une parole forte et sont porteuses d’une ligne idéologique affirmée. Si leur parole doit être entendue dans le débat public, elle ne peut en aucun cas être injonctive", réclament les signataires.
L’Église nie défendre des intérêts particuliers. "Il n’est aucunement question de toucher à une virgule de la loi de 1905" a toutefois assuré à l’assemblée Gérald Darmanin. Selon lui, l’article 38 répondrait plutôt à des considérations pratiques. "Il faudrait qu’un représentant d’association cultuelle se déclare à chaque fois qu’il va discuter sur un site qui appartient à l’État", explique-t-il, qualifiant une telle situation d’"absurde".
De son côté, l’Église refuse de se voir cataloguer comme un lobby. "Cette situation ne nous convient évidemment pas. Dans le cadre des relations institutionnelles entre l’Église et l’État, nous ne défendons pas des intérêts particuliers, mais cherchons à poursuivre le bien commun", s’agaçait en 2016 Mgr Olivier Ribadeau Dumas, porte-parole de la Conférence des évêques de France dans l’hebdomadaire catholique Famille Chrétienne.
Des arguments qui ressemblent à ceux de Stanislas Guérini, rapporteur du texte de loi examiné hier à l’Assemblée. Selon le député de Paris, "les associations cultuelles peuvent défendre des positions dans le débat public, même chercher à influencer en rencontrant des parlementaires, des ministres. Mais les positions qu’elles prennent, c’est pour défendre des idées, ce n’est pas pour défendre un avantage particulier ou catégoriel", expliquait-il sur France 2.