Ce n'était qu'une première lecture, et le processus législatif de la loi asile et immigration est encore loin d'être terminé. Pourtant, l'examen de ce texte crucial, de lundi à dimanche soir à l'Assemblée, aura été riche en leçons politiques. De premières fissures sont apparues au sein du groupe pléthorique La République en marche!, tandis qu'à droite, ce sont des convergences idéologiques qui ont vu le jour. Si beaucoup de réformes ont été présentées comme des tests pour la majorité ou l'opposition, force est de constater que celle-ci pourrait influer durablement sur les rapports de force pour la suite du quinquennat.
Première(s) fracture(s) au sein de LREM
"Le groupe LREM arrive plutôt ressoudé. Il est important de faire valoir tous les points de vue. Mais ce qui compte, c'est qu'il n'y ait pas de cassure, et il n'y en aura pas. " Voilà ce que confiait la rapporteure du projet de loi, la députée LREM Elise Fajgeles, quelques jours avant le début de l'examen du texte en séance public. Après une semaine de débats enflammés et tardifs, les députés étant restés dans l'hémicycle tous les soirs du lundi au dimanche, force est de constater que l'élue de Paris était un peu trop optimiste.
De fait, au-delà des prises de parole dissonantes au sein de la majorité sur certains points, le vote lui-même a révélé des "cassures". Certes, un seul député LREM, Jean-Michel Clément, a voté contre le projet de loi. Quatorze autres se sont abstenus. Mais une petite centaine n'a également purement et simplement pas pris part au vote et, parmi eux, certains l'ont fait sciemment pour ne pas avoir à presser le bouton "pour". "J'ai participé à l'entièreté des débats", a ainsi rappelé Aude Amadou, élue LREM de Loire-Atlantique, qui était pourtant absente dimanche soir, lors du vote. "Je suis favorable à l'esprit efficacité et humanisme de ce texte. Pas à toutes les dispositions. Je me suis donc abstenue par cohérence."
En réalité, ce ne sont pas tant les votes que l'atmosphère qui renseignent sur les fractures internes à LREM. Si, quelques semaines avant le début des débats, on reconnaissait à la direction du groupe qu'il y aurait des votes contre sans pour autant s'en inquiéter outre-mesure, Richard Ferrand et son entourage ont peu à peu durci le ton, menaçant les récalcitrants d'exclusion. Dans son édition de dimanche, le JDD prêtait à l'une des porte-paroles du groupe, Aurore Bergé, des propos très durs à l'encontre des députés peu enclins à voter la réforme. Ils seraient "des gens émotionnellement fragiles qui manquent de maturité politique". Si la jeune femme a immédiatement démenti, le mal était fait.
" Je pensais que la complexité de ce sujet impliquait que chaque parlementaire de notre groupe soit libre dans son expression et dans son vote. Cela n'a pu être le cas. "
D'ailleurs, le seul à s'être risqué à voter contre, Jean-Michel Clément, a immédiatement annoncé dimanche soir qu'il se mettait "en congés" de son groupe parlementaire. Entre les lignes, l'élu de la Vienne, ancien socialiste, a dénoncé le musellement de la parole au sein de la majorité. "Je pensais sincèrement que la complexité de ce sujet impliquait que chaque parlementaire de notre groupe soit libre dans son expression et dans son vote. Cela n'a pu être le cas, et je le regrette." Si cette défection n'a, selon les implacables lois de l'arithmétique, pas compromis l'adoption du projet de loi, il reste que LREM a semblé échouer à surmonter les premiers vrais désaccords en son sein, ne trouvant d'échappatoire que dans la discipline imposée.
Le retour en première ligne du FN
Au début de la législature, les députés frontistes avaient bien du mal à se faire entendre. À part Emmanuel Ménard ("la seule qui bosse avec Ludovic Pajot", taclait un député LREM), le Front national prenait peu la parole dans l'hémicycle. Les débats sur le droit d'asile et, plus largement, l'immigration, ont donné l'occasion au parti de Marine Le Pen et à sa présidente de revenir en force. Au total, les élus non-inscrits, qui sont 19, ont parlé 4 heures cumulées. Parmi eux, ce sont bien les sept frontistes qui ont monopolisé la quasi intégralité de ce temps de parole.
" Finalement, cette loi aura été une formidable tribune pour le Front national. C'est lui qui sort gagnant de ce débat. "
Par ailleurs, le Front national s'est fait remarquer en votant certaines mesures du projet de loi, notamment la réduction du délai pour déposer une demande d'asile après l'arrivée en France. "Pour la première fois dans notre histoire, le Front national vient, sur un texte qui concerne l'asile et l'immigration, apporter sa caution à un gouvernement", a d'ailleurs souligné Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS. Si LREM a bien tenté de dénoncer un calcul politique du FN qui, selon la ministre de la Justice Nicole Belloubet, "adopte des tactiques pour déstabiliser l'ensemble de notre système républicain", d'autres responsables politiques ont, au contraire, observé la mainmise de l'extrême droite sur ces thématiques. "Finalement, cette loi aura été une formidable tribune pour le Front national", a lancé Jean-Michel Clément. "C'est lui qui sort gagnant de ce débat en mêlant asile et immigration."
Une convergence idéologique entre le FN et LR
Alors que le projet de loi était âprement discuté dans l'hémicycle, Laurent Wauquiez tenait lui une convention thématique sur le même thème mercredi. À cette occasion, le patron des Républicains a rappelé qu'il voulait "remettre en cause le droit du sol". Un objectif partagé par Marine Le Pen. Pourtant, à l'Assemblée, la présidente du Front national n'a pas réussi à rallier les députés LR sur ce terrain. Ces derniers n'ont pas voté son amendement proposant de supprimer le droit du sol. "Le groupe n'y est pas favorable", a rappelé Guillaume Larrivé, qui préfère "modifier les conditions" de ce droit en fonction, notamment, de la "régularité du séjour des parents" sur le sol français.
En réalité, cet épisode fait plutôt figure d'exception tant, tout au long de la semaine, la convergence idéologique entre le FN et LR a sauté aux yeux. À ce titre, l'examen des trois premiers articles du projet de loi, qui visaient à faciliter les réunifications familiales et mieux protéger et intégrer les réfugiés, a été révélateur. Les deux-tiers de l'hémicycle, de la France Insoumise jusqu'à Agir, se sont opposés à l'autre tiers, de droite et d'extrême droite.
Par ailleurs, les termes autrefois réservés au Front national ont fait leur chemin jusqu'aux bouches Républicaines. Guillaume Larrivé ou Eric Ciotti ont ainsi parlé sans complexe de "chaos migratoire", de "plafond migratoire annuel" ou encore de "submersion". Au-delà des mots, les amendements des uns et des autres ont aussi, régulièrement, été identiques. "Si je veux prouver qu'il y a concubinage entre droite et extrême droite, je peux le faire", a ainsi ironisé l'Insoumis Ugo Bernalicis, qui a pointé toute la semaine une "lepénisation des esprits". "Il suffit de regarder les amendements déposés." Le député LREM de Gironde, Florent Boudié, s'est quant à lui demandé si "Les Républicains sont devenus d'extrême droite". "Nous avons ce soir la réponse. Vous êtes à l'unisson idéologique."
.@florent_boudie (LREM) : "Les LR sont-ils devenus d'extrême droite ? Nous avons ce soir la réponse. Vous êtes à l'unisson idéologique."
— LCP (@LCP) 17 avril 2018
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