Initialement, elle était prévue le 9 mars. La présentation de la réforme du Travail en conseil des ministres est finalement reportée "d'une quinzaine de jours", a annoncé lundi Manuel Valls, en direct du Salon de l'Agriculture. Dans un communiqué, Matignon a arrêté la date du 24 mars pour que le texte arrive sur la table du gouvernement.
"Lever les incompréhensions". Le Premier ministre a justifié ce délai par la nécessité de "lever les incompréhensions" autour du texte. Il prévoit également d'en profiter pour consulter l'ensemble des partenaires sociaux, "organisations syndicales et patronales, les unes après les autres". Mais pas question, pour Manuel Valls, de donner l'impression que l'exécutif recule sur le fond de sa réforme. Soulignant que ce report ne "change pas grand-chose par rapport au calendrier parlementaire prévu", le chef du gouvernement a insisté sur "la très grande détermination du gouvernement pour faire avancer ce texte". Tout juste a-t-il consenti à se livrer à un exercice de déminage. "Il faut expliquer, répondre à toute une série de fausses informations qui sont données sur ce texte."
Miser sur la pédagogie. Pour désamorcer une crise sociale déjà bien engagée, le gouvernement mise donc sur la pédagogie. Dès dimanche, le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, s'est livré à l'exercice, expliquant dans les colonnes du JDD que le code du travail français "est inadapté". Pour le patron de Bercy, ce système "a été construit pour [les salariés] qui occupent un CDI dans un grand groupe", condamnant le reste des travailleurs à "l'hyperprécarité". Surtout, Emmanuel Macron a insisté sur les possibilités de faire bouger le projet de loi. "Le gouvernement est à l'écoute et ne considère pas que tout est intangible", a-t-il souligné.
"Possibilité de discuter". Interrogé sur BFM TV dimanche, Jean-Christophe Cambadélis est même allé plus loin. "Ce texte doit être redébattu, réanalysé, réinitialisé", a estimé le premier secrétaire du PS, pointant notamment le plafonnement des indemnités prud'homales, qu'il souhaite voir relevé. "On a une chance, c'est que [le projet de loi] n'est pas passé en conseil des ministres, il a un statut juridique évanescent. Il y a la possibilité là de discuter." Le report annoncé par Manuel Valls semble lui donner raison.
Changement de communication. Si le Premier ministre se défend de toute reculade, la communication de l'exécutif a néanmoins pris un virage à 180° par rapport au moment où Myriam El Khomri avait défendu son avant-projet de loi pour la première fois, il y a deux semaines. Dans une interview aux Echos, la ministre avait mis le feu aux poudres en évoquant la possibilité d'adopter le texte sans vote, grâce à l'article 49.3. Une menace de passage en force qui portait la signature de Matignon. Quinze jours plus tard, le discours est totalement différent. "Nous sommes à un moment du quinquennat où on ne peut pas tout brutaliser, car ce serait prendre le risque de refermer les débats pour longtemps sans avoir réglé les problèmes", a d'ailleurs résumé Emmanuel Macron au JDD.
" Nous sommes à un moment du quinquennat où on ne peut pas tout brutaliser "
La grogne s'étend. A quatorze mois de la prochaine présidentielle, le gouvernement ne peut, de fait, pas se permettre de s'aliéner l'importante frange de la gauche qui s'est prononcée contre le projet de loi El Khomri. Côté syndicat, même la CFDT, pourtant satisfaite de la quasi-totalité des politiques gouvernementales, réforme des retraites comprise, avait réclamé le report du texte. Sur Internet, une pétition contre le texte a connu un succès fulgurant, recueillant plus de 785.000 signatures en un peu plus d'une semaine. Enfin, la contestation grimpe au sein d'un groupe qui fait très peur au gouvernement : les jeunes.
Les jeunes montent au front. Syndicats étudiants et lycéens font partie de l'intersyndicale qui a battu le rappel pour une journée de mobilisation le 9 mars prochain. Ironie du calendrier, ces organisations fêtent l'anniversaire des grandes manifestations contre le Contrat première embauche (CPE) de Dominique de Villepin. Dix ans après ce bras de fer gagné contre le gouvernement de droite, les syndicats étudiants espèrent faire plier l'exécutif socialiste de la même manière. William Martinet, président de l'Union national des étudiants de France (Unef) a d'ailleurs vu dans le report de la présentation du projet de loi "une première victoire". "Le gouvernement est en train de comprendre qu'il est allé trop loin et commence à reculer", s'est-il félicité lundi sur Europe 1.
"L'objectif reste d'obtenir le retrait". En jouant la montre, l'exécutif réussira-t-il à démobiliser les opposants à son projet de loi ? Au vu des premières réactions à l'annonce du report, rien n'est moins sûr. Pour William Martinet, "l'objectif reste d'obtenir le retrait du texte. Il faut que la mobilisation" se poursuive. Même son de cloche du côté de Force ouvrière. "Reporter n'est pas suspendre, cela ne change rien", a tempêté Jean-Claude Mailly lundi. Quant aux socialistes frondeurs, il leur faudra plus que de la pédagogie pour les amener à soutenir le projet de loi. "Je ne désespère pas que ce texte soit profondément réécrit ou tout simplement retiré", a déclaré leur chef de file à l'Assemblée, Christian Paul. Il reste encore trois semaines à l'exécutif pour permettre, ainsi que le proposait le compte Twitter créé pour l'occasion, aux sceptiques et à la loi Travail de "faire connaissance".