Son premier meeting politique à la tête de son mouvement En marche !, le 12 juillet dernier à la Mutualité, à Paris, avait donné le ton. Emmanuel Macron se targue de faire souffler un vent de renouveau sur la politique tant dans les idées que dans la manière de les porter. Il était alors apparu sans pupitre ni notes, arpentant la scène avec le col ouvert et un micro-cravate, prompt aux changements de rythme et de hauteur dans la voix. Avec, au final, un résultat plus proche de celui d'une keynote que d'un meeting traditionnel. Son deuxième grand rendez-vous, mardi soir à Strasbourg, pour présenter les résultats du "diagnostic" de la Grande Marche, devrait être, une fois de plus, animé de la volonté de ringardiser l'exercice.
Le briseur de tabous. Au fil de ses interventions, comme ministre de l'Économie puis comme fondateur du mouvement En Marche !, Emmanuel Macron a-t-il réussi à imposer un style particulier ? Au début, sa tendance à ne pas prendre de pincettes, quitte à se prendre les pieds dans le tapis -on se souvient du tollé suscité par ses propos sur les ouvrières "illettrées" des abattoirs Gad-, lui a valu d'apparaître comme un briseur de tabous professionnels, ce qui a semblé le porter dans l'opinion. En 2015, l'ancien banquier a ainsi eu droit au titre de "personnalité la moins langue de bois du gouvernement", selon une enquête Odoxa pour Paris Match.
Retravailler les représentations politiques. Pour Elodie Mielczareck, analyste du langage et des comportements, auteur de Déjouez les manipulateurs, la façon de communiquer d'Emmanuel Macron témoigne effectivement d'une "volonté de retravailler les représentations politiques". "C'est d'ailleurs l'un des rares à le faire de manière audacieuse", note-t-elle, pointant l'utilisation d'un champ lexical particulier, "très tourné vers demain, l'innovation, la nouveauté, quand on retrouve chez d'autres, comme François Hollande par exemple, plutôt des références historiques".
" Emmanuel Macron est l'un des rares à retravailler les représentations politiques de manière audacieuse. "
"C'est une bête politique". À ce discours, Emmanuel Macron ajoute une bonne dose d'aisance, tant dans le phrasé que dans l'attitude, ce qui lui permet de bien occuper un espace scénique comme de manier l'art pourtant délicat de l'ironie. Arnaud Mercier, professeur de communication politique à l'IFP et l'université Paris II, voit d'ailleurs en lui un "bon orateur, même si cet art oratoire n'est pas celui à l'ancienne qui consiste à faire de longues phrases truffées de références, à la François Mitterrand".
Son aisance lui permet d'ailleurs, selon un membre de son équipe, de se passer de coach et de refuser toute séance de media training. Ce qui n'étonne pas le synergologue Stephen Bunard. "Il possède naturellement, de manière non consciente, plusieurs codes de la séduction", observe l'auteur de Leurs gestes disent tout haut ce qu'ils pensent tout bas. "Il a toujours le corps en avant pour convaincre, et les deux mains participatives, ce qui traduit l'argumentation et l'implication." En outre, trop de travail sur soi finit toujours par se voir, et pourrait même porter préjudice à l'ancien ministre. "C'est une bête politique, à l'aise dans l'exercice d'improvisation. Il a besoin de marge de manœuvre", estime Elodie Mielczareck.
Pas de révolution. Pour Arnaud Mercier, il n'y a cependant pas là de quoi bouleverser la communication politique. "C'est moderne, pas révolutionnaire. Il parle sans notes, en marchant de long en large… on se souvient que Ségolène Royal était déjà assez bonne dans ce genre-là." Ce n'est d'ailleurs pas la seule chose qu'Emmanuel Macron a emprunté à l'actuelle ministre de l'Environnement qui, lorsqu'elle était candidate à la présidentielle en 2007, prônait une "démocratie participative" assez proche du "diagnostic" collectif du pays que se propose d'effectuer l'ancien patron de Bercy. Avant son meeting mardi soir, à Strasbourg, Emmanuel Macron devrait, selon Le Figaro, "déambuler" dans la ville alsacienne. L'inspiration vient, cette fois, du candidat Hollande qui, pour sa campagne de 2012, avait fait des déplacements surprises et des déambulations en homme "libre" une marque de fabrique.
Avant son meeting de Strasbourg ce soir, Emmanuel Macron va effectuer une "déambulation" dans la ville#deambulation
— FX Bourmaud (@fxbourmaud) 4 octobre 2016
"Un ethos de droite". L'objectif était alors d'en finir avec l'image d'un politique coupé du monde et des réalités du pays. Cinq ans plus tard, l'homme a changé mais pas le but. De fait, "Emmanuel Macron a encore du mal à être dans la proximité", pointe Elodie Mielczareck. En témoigne cet accrochage entre l'ancien ministre de l'Économie et un syndicaliste, en mai dernier. Le premier avait fini par dire au second que "la meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler", ce qui avait suscité un tollé. Pour Elodie Mielczareck, le fondateur d'En Marche! reste finalement "assez institutionnel, dans ses propos comme dans son attitude". "Comme dirait Bourdieu, il a un ethos, c'est-à-dire une manière d'être, de droite", analyse la sémiologue. "Cela se voit au port de tête assez en hauteur, à la tonalité de presque bourgeoise. On voit que le 'costard' du businessman est son vêtement, il reste dans un univers très codifié."
De quoi freiner, peut-être, une communication bien huilée. Dans le même temps, pourtant, la forme rejoint le fond. Car Emmanuel Macron désire transcender les partis, agréger les "bonnes volontés" de droite comme de gauche, à la tête d'un mouvement qui n'appartient ni à un camp ni à l'autre. Sur ce sujet-là, analyse Elodie Mielczareck, "il incarne un vrai brouillage" des clivages politiques traditionnels. "Ce qui reste, somme toute, assez cohérent."