Même lieu, même format : sept ans après la "Sorbonne 1", le 26 septembre 2017, Emmanuel Macron a de nouveau déroulé une série de mesures pour passer à "l'Europe puissance" à la Sorbonne ce jeudi. Le chef de l'État a dressé un portrait alarmiste de l'Europe, affirmant qu'elle était en "situation d'encerclement", "mortelle", courait le risque d'être "reléguée" face à la compétition des autres grandes puissances et appelé à un nouveau sursaut des Vingt-Sept à l'horizon 2030.
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L'Europe "dans une situation d'encerclement"
"Nous devons être lucides aujourd'hui sur le fait que notre Europe est mortelle, elle peut mourir", a-t-il martelé dans un nouveau discours sur l'avenir de l'UE à la Sorbonne, sept ans après une première expression sur les mêmes enjeux dans le même lieu. "Cela dépend uniquement de nos choix, mais ces choix sont à faire maintenant" car "à l'horizon de la prochaine décennie, (...) le risque est immense d'être fragilisé, voire relégué", a-t-il asséné devant 500 invités, dont les ambassadeurs des 26 autres États-membres de l'UE, des étudiants, des chercheurs et le gouvernement au complet.
Le président français a évoqué une Europe "dans une situation d'encerclement" face aux grandes puissances régionales et a jugé que les valeurs de la "démocratie libérale" européennes étaient "de plus en plus critiquées" et "contestées".
"Le risque, c'est que l'Europe connaisse le décrochage et cela, nous commençons déjà à le voir malgré tous nos efforts", a averti le chef de l'État. "Nous sommes encore trop lents pas assez ambitieux", a-t-il également affirmé, plaidant pour une "Europe puissance", qui "se fait respecter", "assure sa sécurité" et reprend "son autonomie stratégique". Dans un contexte géopolitique alourdi par la guerre en Ukraine, il a appelé l'Europe à renforcer encore sa défense, au sein de l'Otan, évoquant au passage la possibilité pour elle de se doter d'un bouclier antimissile.
La défense européenne, un enjeu crucial
Emmanuel Macron a annoncé qu'il allait inviter les Européens à bâtir un "concept stratégique" de "défense européenne crédible". Il a aussi appelé l'Europe à renforcer son industrie de défense et plaidé pour un "emprunt européen", sujet tabou notamment en Allemagne, pour investir dans l'armement. Tout en réfutant tout "satisfecit", il s'est toutefois félicité que le concept de souveraineté européenne, qu'il avait prôné dans son premier discours en 2017, se soit "imposé en Europe".
"Rarement l'Europe n'aura autant avancé" pendant cette période malgré "une conjonction de crises", notamment la pandémie et la guerre en Ukraine, a-t-il ajouté. "Plus personne n'ose tellement proposer des sorties, ni de l'Europe, ni de l'euro", s'est-il réjoui.
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Une structure politique commune sur les sujets de migrations et de terrorisme ?
Emmanuel Macron a appelé l'Union européenne à "retrouver la maîtrise de (ses) frontières" et "à l'assumer", et a proposé "une structure politique" au niveau européen sur les sujets de migrations, de criminalité et de terrorisme. "Si nous voulons résister à ce changement de règles, à cette escalade de la violence, à cette désinhibition des capacités sur notre continent et au-delà, nous devons nous adapter en termes de concept stratégique, de moyens et nous devons retrouver la maîtrise de nos frontières pleinement, entièrement et l'assumer", a déclaré le président français.
Il a évoqué la création d'une "structure politique" qui permettrait de prendre, entre "pays qui la partagent", "des décisions" sur "les sujets d'immigration, de lutte contre la criminalité organisée, de terrorisme, de lutte contre le trafic de drogue ou la cybercriminalité".
"Choc d'investissement commun"
Sur le plan financier, Emmanuel Macron a plaidé pour intégrer dans les missions de la Banque centrale européenne (BCE) "au moins un objectif de croissance, voire un objectif de décarbonation" et réclamé "un choc d'investissements communs" passant par un doublement de la capacité d'action financière de l'UE. "On ne peut pas avoir une politique monétaire dont le seul objectif est un objectif d'inflation, qui plus est dans un environnement économique où la décarbonation est un facteur d'augmentation des prix", a-t-il ajouté.
"Il nous faut à nouveau un choc d'investissements commun, un grand plan d'investissement budgétaire" pour notamment la défense, l'intelligence artificielle, la décarbonation, a-t-il plaidé en rappelant que ce "mur d'investissements" est estimé "entre 650 et 1.000 milliards d'euros par an". "Ce sont des subventions qu'il nous faut (...) Est-ce que c'est une capacité d'emprunt commun? Est-ce que c'est utiliser des mécanismes qui existent aujourd'hui (...) Au fond, il nous faut réussir à doubler la capacité d'action financière de notre Europe ou au moins la doubler en budgétaire", a-t-il dit.
Commerce, libre-échange
Ça ne peut pas marcher si on est les seuls à respecter les règles du commerce telles qu'elles ont été écrites il y a 15 ans", a estimé le président français, appelant à réviser la politique commerciale, car Chine et États-Unis ne "respectent plus les règles" en "subventionnant les secteurs critiques". "Nous devons systématiser le recours à des instruments de concurrence loyale", a-t-il insisté. Pour le président français, "on est gagnants sur le Ceta", le traité de libre-échange avec le Canada, rejeté par le Sénat français, grâce aux "clauses miroirs". Il a évoqué "un accord commercial de nouvelle génération", contrairement au Mercosur.
Vers une Europe de la majorité numérique ?
Enfin, le chef de l'État s'est dit favorable à l'instauration d'une majorité numérique dans l'Union européenne à 15 ans ainsi qu'à un "contrôle parental" de l'accès aux réseaux sociaux en dessous de cet âge. "Je veux défendre une Europe de la majorité numérique à quinze ans. Avant quinze ans, il doit y avoir un contrôle parental sur l'accès à cet espace numérique. Parce que c'est un accès, si on n'en contrôle pas les contenus, qui est le fruit de tous les risques et des déformations d'esprit, qui justifient toutes les haines", a déclaré le président français dans un discours fleuve sur l'Europe à la Sorbonne.
Un discours de campagne ?
Son discours a largement été perçu en France comme une entrée en campagne du chef de l'État alors que son camp patine à six semaines des européennes. L'Élysée a réfuté pour sa part toute tactique électoraliste, affirmant qu'il ambitionne d'"influer sur l'agenda" de la prochaine Commission européenne à l'issue des élections de juin.
Pour ses adversaires, Emmanuel Macron passe surtout à l'offensive au moment où la liste RN menée par Jordan Bardella reste largement en tête des intentions de vote, avec douze à quinze points d'avance sur la liste macroniste de Valérie Hayer, selon les enquêtes. Le communiste Léon Deffontaines, comme Les Républicains, ont demandé à ce que le discours du président soit "décompté dans le temps de parole de Valérie Hayer". En écho au chef de l'État, Jordan Bardella tiendra dans l'après-midi une conférence de presse pour présenter son programme et tenter ainsi d'imposer un duel au sommet.