À six mois du référendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, sa visite nourrit les crispations. Pour la première fois, un chef d’Etat français va poser le pied sur la petite île d’Ouvéa, là où trente ans plus tôt l’assaut militaire contre la prise d’otages de Gossanah tournait au massacre. "La France nous a toujours trompés. Macron ne doit pas être sur la tombe des 19 [morts kanaks] le 5 mai. C’est une insulte, c’est une provocation", a fait savoir dans communiqué le collectif de Gossanah. Malgré tout, le président de la République assistera samedi à une cérémonie d’hommage, au cours de laquelle il devrait rester silencieux, une manière de jouer l’apaisement alors même que le bain de sang du 5 mai 1988 continue d’irriguer les ressentiments sur le "Caillou". Retour, en cinq actes, sur cette tragédie et son épilogue :
22 avril 1988 : l’attaque de Fayaoué
La situation politique se crispe depuis plusieurs années en Nouvelle-Calédonie, notamment après un premier référendum sur l’indépendance de l’île, le 13 septembre 1987. Celui-ci a validé à 98,3% le maintien de l’archipel dans la République, mais les indépendantistes réunis sous la bannière du FLNKS ont choisi de le boycotter, fustigeant le choix du corps électoral. Le 22 avril 1988, à deux jours du premier tour de l’élection présidentielle, des Kanaks attaquent la gendarmerie de Fayaoué sur l’île d’Ouvéa. Quatre militaires sont tués, et 27 autres capturés.
27 avril : le GIGN entame les négociations
Onze otages sont libérés trois jours plus tard, et les seize restants conduits dans la grotte de Gossanah, au nord de l’île, emmenés par Alphonse Dianou. Le GIGN identifie le site le 27 avril et, à force de négociation, obtient la libération de six autres gendarmes. Entre temps, sept membres du groupe d’intervention, un gendarme mais aussi le substitut du procureur, acceptent de se constituer otages pour éviter l’exécution de l’un des hommes encore retenus dans la grotte. Parmi eux, le capitaine Philippe Legorjus, libéré quelques heures plus tard pour servir de médiateur.
Le 5 mai : l’assaut tourne au massacre
À Paris, la cohabitation particulièrement tendue entre Jacques Chirac et François Mitterrand, tous deux qualifiés pour le second tour de la présidentielle, ne facilite guère la gestion de la crise. Matignon conserve la main sur le dossier et balaye la volonté de dialogue du président de la République. "Toute mesure de conciliation ou de médiation reviendrait dans ces conditions à placer sur le même plan ceux qui, dans le territoire, se conforment aux lois et ceux qui les violent", fait savoir le Premier ministre, rapporte notamment Gilles Ménage, alors directeur de cabinet adjoint de la présidence.
L’opération "Victor" est finalement lancée le 5 mai, à 6h15 (le 4 au soir, heure de Paris). 75 hommes montent à l’assaut de la grotte, pendant plus de 6 heures. 21 personnes trouvent la mort dans l’attaque : deux parachutistes et 19 indépendantistes, dont leur leader Alphonse Dianou, qui décède des suites d’une blessure au genou. Certains leaders kanaks affirment que plusieurs preneurs d’otages ont été abattus sommairement alors que l’assaut était terminé. Des faits en partie reconnus par Michel Rocard, qui devait succéder à Jacques Chirac cinq jours plus tard. "À la fin de l’épisode de la grotte d’Ouvéa, il y a eu des blessés kanaks et deux de ces blessés ont été achevés à coups de bottes par des militaires français, dont un officier", a concédé l’ex-Premier ministre en 2008, au micro de France Culture.
Le 26 juin 1988 : les accords de Matignon
À l’issue de cet épisode sanglant, indépendantistes et loyalistes acceptent de dialoguer pour "établir la paix civile". Ils signent le 26 juin, sous l’égide de Michel Rocard, les accords de Matignon qui amnistient les acteurs du massacre d’Ouvéa. Surtout, le texte pose le cadre d’une période de développement économique de l’archipel, qui prend en compte "l’ensemble des communautés humaines qui le peuple", et au terme de laquelle les habitants seront de nouveau invités à se prononcer quant à leur indépendance.
4 novembre 2018 : un référendum d’autodétermination
Dix ans après les accords de Matignon, Lionel Jospin, alors chef du gouvernement, ratifie les accords de Nouméa, qui prévoient un transfert progressif des compétences non régaliennes de la France vers la Nouvelle-Calédonie, et fixent la tenue du référendum d’autodétermination entre 2014 et 2018. La date du 4 novembre 2018 est finalement retenue par le Congrès de la Nouvelle Calédonie, né de l’accord de Nouméa.