Une journée historique en perspective. Dimanche, Emmanuel Macron rentre officiellement à l’Elysée et François Hollande quitte, après cinq années passées au pouvoir, le 55 rue du Faubourg Saint-Honoré. Rien dans la Constitution ne fixe les règles du cérémonial, déterminé par une longue tradition républicaine. Ainsi, les présidents sortant et président entrant se retrouvent généralement en privé, pour un échange sur les dossiers sensibles, et la transmission des codes nucléaires. Emmanuel Macron doit également être fait grand maître de la Légion d’honneur, à l’image de ses sept prédécesseurs. Enfin, vingt-et-un coups de canons sont tirés depuis l’esplanade des Invalides.
Mais en plus de cinquante ans, les imprévus et les entorses au protocole se sont multipliés au fil des différentes passations. Surtout, le cérémonial et la pompe républicaine ne sont pas exempt de petites cruautés lorsque ce sont de vieux adversaires qui se croisent sur le perron de l’Elysée. En attendant de voir à quoi va ressembler la passation de pouvoirs entre François Hollande et son ancien protégé, retour sur quelques-unes des passations les plus marquantes de la Cinquième République.
1969 : Pompidou succède à un de Gaulle absent
Première véritable passation de pouvoirs de la Cinquième République (Charles de Gaulle avait pris sa propre succession en 1966), l’investiture de Georges Pompidou reprend le cérémonial suivi dix ans plus tôt, lorsque le général de Gaulle succède en 1959 à René Coty, marquant l’adieu à la Quatrième République. Cette fois, ce n’est pas le président sortant - puisqu’il a démissionné le 28 avril -, qui accueille le 20 juin 1969 le nouveau chef de l’Etat au Palais de l’Elysée mais Alain Poher, le président du Sénat, devenu président de la République par intérim, selon la Constitution. Ce dernier, que Georges Pompidou vient de battre au second tour de l’élection présidentielle, ne se doute pas qu’il devra, après la mort de celui-ci cinq ans plus tard, assurer de nouveau l’intérim et passer le flambeau à Valéry Giscard d’Estaing.
1981 : un sacre pour François Mitterrand et des sifflets pour Valéry Giscard d’Estaing
Le jour de son arrivée à l’Elysée en 1974, Valéry Giscard d’Estaing avait remonté l’avenue des Champs-Elysées à pied. Sept ans plus tard, c’est encore à pied que le président battu souhaite tirer sa révérence. Mais après un mandat marqué par les chocs pétroliers, et avec une réputation abîmée par l’affaire des diamants, c’est sous les sifflets que le troisième président de la Cinquième République rejoint sa voiture rue de l’Elysée.
De son côté, François Mitterrand assoie sa stature de monarque présidentiel à travers une cérémonie grandiose au Panthéon, en fin de journée. Après avoir remonté à pied la rue Soufflot, au son de l’Ode à la Joie et entouré de ses soutiens, le nouveau président entre seul dans le Panthéon et fleurit le tombeau de Jean Moulin. Mais dans le dédale de la crypte, le président sort du champ des caméras, puis réapparaît enfin. S’est-il égaré ? Alors aux manettes, Serge Moati confiera plus tard dans 30 ans après : "J’avais les yeux avec des larmes tout autour et dedans. Ce n’est pas pour m’excuser, mais ceci explique, peut-être, pourquoi j’ai perdu Mitterrand dans les sous-sols glauques du Panthéon". Bref, une mise en scène grandiloquente, dont s’est souvenu Emmanuel Macron en 2017, pour sa traversée de l’esplanade du Louvre.
Et au milieu de la liesse… les codes nucléaires partent au nettoyage à sec
L’investiture de 1981 a multiplié les incidents, dont un qui aurait pu frôler la catastrophe… nucléaire. Après avoir reçu des mains de Valéry Giscard d’Estaing la plaque en or où sont gravés les codes nucléaires, François Mitterrand la glisse dans sa poche, et, dans la liesse générale, l’oublie ! Le costume part chez le teinturier dans la soirée, et les codes sont finalement récupérés par un motard dépêché in-extremis. Une anecdote que le socialiste se plaisait à raconter dans les dîners en ville, comme le rappelle Le Point.
Un précision toutefois : les fameux codes que le président sortant transmet au président entrant n’activent pas directement le feu nucléaire, mais permettent au poste de commandement d’identifier le donneur d’ordre. Mais des procédures complémentaires d’identification existent, souligne Le Figaro.
1988 : François Mitterrand face aux sollicitations
Réélu en 1988, François Mitterrand ne se prive pas de la traditionnelle cérémonie d’investiture à l’Elysée. Au milieu des félicitations et des poignées de main, une jeune chargée de mission l’interpelle discrètement, et lui demande une circonscription alors que les investitures PS pour les législatives sont déjà bouclées. "Vous ne pouvez pas faire quelque chose pour moi ?". "Il est déjà très tard, lui répond le président, s’il est encore temps, je le ferais, mais je crains qu’il ne soit plus temps". Un échange enregistré par les caméras de télévision qui filment la cérémonie. Le nom de la quémandeuse : une certaine Ségolène Royal. Finalement parachutée dans les Deux-Sèvres, elle est élue députée le 23 juin 1988.
1995 : les canards du président
Après quatorze ans passés au pouvoir, c’est un François Mitterrand malade qui s’éclipse le 17 mai 1995 face à Jacques Chirac. Dans le secret de la passation, le président sortant aurait surtout eu le souci des canards colverts qu’il a fait introduire dans le parc de l’Elysée et de leur couvée. "Je sais que vous avez un labrador… Essayez de faire en sorte qu’il ne les dévore pas en deux jours !", lance-t-il à son successeur, rapporte Jacques Chirac dans ses Mémoires. Quelques mois plus tard, la présidence reconnaît dans un communiqué que plusieurs des palmipèdes ont disparus, mais tiens à innocenter le compagnon à quatre pattes de Claude Chirac.
2007 : la décontraction de Nicolas Sarkozy
Une cérémonie familiale pour Nicolas Sarkozy en 2007. Le nouveau chef de l’Etat entre à l’Elysée entouré d’une famille recomposée. Sont présents : les deux filles que sa femme Cécilia Sarkozy a eu avec Jacques Martin, Judith et Jeanne-Marie, les deux fils du président issus d’un premier mariage, Pierre et Jean, et enfin le seul enfant du couple présidentiel, Louis. Au milieu des airs de la Garde républicaine retenti Asturias, un extrait de la Suite espagnole d’Isaac Albéniz, qui n’est autre que l’arrière-grand-père de la nouvelle Première dame.
2012 : avec François Hollande, une passation peu courtoise ?
Le 15 mai 2012, Nicolas Sarkozy et Carla Bruni-Sarkozy quittent l’Elysée sous les applaudissements du personnel, comme le veut la tradition, mais sans François Hollande ni Valérie Trierweiler. Sitôt les poignées de mains échangées sur le perron, les nouveaux locataires ont regagné les salons, laissant l’ex-président et sa femme rejoindre seuls leur voiture au milieu de la cour. Un geste qui a déplu à Nicolas Sarkozy qui, en septembre 2016, déclarait sur notre antenne : "La courtoisie républicaine fait partie des valeurs qui sont importantes. J’ai raccompagné un président de la République dans la cour de l’Elysée, c’était Jacques Chirac – on n’a pas toujours été d’accord -, mais j’avais été très ému, parce que c’était le moment où il partait. Je pense qu’être courtois, c’est une marque de civilisation".
De son côté, l’ex-Première dame, peut-être plus rancunière, aurait épinglé l’attitude du président dans son album sorti en 2013, Little french Song. La chanson Le Pingouin dresse ainsi le portrait acerbe d’un volatile qui "n’a pas des manières de châtelain", et à qui elle promet d’apprendre un jour "à faire le baisemain". À L’Express, la chanteuse avait démenti qu’il s’agissait d’un pamphlet contre François Hollande. Mais un SMS envoyé à des amis après la percée frontiste aux européennes de 2014, et rapporté par Le Canard enchaîné, semble pourtant l’avoir trahi : "Oui le FN devient le premier parti de France. ET ce sera de même en 2017 ! Préparez-vous… Tout ceci est le résultat de la nullité abyssale de votre ami ‘le pingouin’, et de tous ceux qui ont voté pour lui."