3:23
  • Copié
Gauthier Delomez / Crédits photo : Andrea Savorani Neri / NurPhoto / NurPhoto via AFP , modifié à
Le président Emmanuel Macron aurait discuté du déclenchement de l'article 16 de la Constitution, communément appelé celui des "pleins pouvoirs", en cas de débordements après les élections législatives anticipées. De quoi s'agit-il exactement ? Europe 1 fait le point.

Emmanuel Macron envisage-t-il de déclencher l'article 16 de la Constitution en cas de débordements post-élections législatives ? Selon les informations d'Europe 1, le chef de l'État aurait discuté de cette éventualité avec ses proches, ce que l'Élysée a démenti par la suite. Interrogé dans l'émission Pascal Praud et vous, Benjamin Morel, maître de conférence en droit public, en dit plus sur cet article de la Constitution, généralement appelé celui des "pleins pouvoirs".

Le président "est un peu juge et partie" avant d'activer l'article 16

"Le président peut le déclencher de manière relativement discrétionnaire", souligne-t-il. "Il a la possibilité de légiférer directement, de prendre des mesures également par voie de décrets. On a donc une sorte de dictature à la romaine pour rétablir les institutions, et dans laquelle le chef de l'État devient quasiment omnipotent (soit tout-puissant)", complète Benjamin Morel.

Dans une fiche spécialement dédiée à cet article 16, le Conseil constitutionnel détaille les conditions nécessaires avant son déclenchement : "D'une part, une menace grave et immédiate des institutions de la République, de l'indépendance de la Nation, de l'intégrité de son territoire ou de l'exécution de ses engagements internationaux, et, d'autre part, l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels".

Benjamin Morel précise que c'est au chef de l'État "d'apprécier ces conditions. Il est un peu juge et partie en la matière. Il y a simplement des conditions formelles : il doit consulter le Premier ministre, le président du Sénat, le président de l'Assemblée et faire un message à la Nation, notamment par voie radio-télévisée", poursuit le maître de conférence.

Des pouvoirs "exceptionnels" qui trouvent des limites

Le président peut-il alors faire ce qu'il veut ? "Il fait ce qu'il souhaite en matière législative ou réglementaire, et il laisse au gouvernement ce qu'il veut bien lui laisser", indique l'enseignant. "Cela n'abolit pas les pouvoirs publics : l'Assemblée nationale continue à siéger, le gouvernement continue à officier, mais aux moments où le président veut se substituer à eux, il peut".

Comme les Sages l'indiquent, le chef de l'État "prend toutes les mesures exigées par les circonstances, le cas échéant, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs. Il peut ainsi prendre des mesures qui relèvent normalement de la compétence du Parlement ou exercer le pouvoir réglementaire sans solliciter le contreseing du Premier ministre et des ministres".

Toutefois, ces pouvoirs "exceptionnels" du président de la République sont limités. "Les mesures prises par le président doivent avoir pour objet de permettre, dans les moindres délais, aux pouvoirs publics constitutionnels d'accomplir leur mission", renseigne l'institution, qui doit alors "être consulté(e) sur chacune de ces mesures". Aussi, le locataire de l'Élysée ne peut pas dissoudre l'Assemblée, ni interdire au Parlement de se réunir, ni engager ou poursuivre une révision de la Constitution", en vertu de la décision 92-312 DC du 2 septembre 1992.

Le contrôle du Conseil constitutionnel

Le président ne peut pas disposer de ces pouvoirs exceptionnels indéfiniment. En effet, le Conseil constitutionnel "contrôle la nécessité de les maintenir en vigueur" depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Les Sages distinguent d'ailleurs le contrôle facultatif en cas de saisine et le contrôle de plein droit.

Dans le premier cas, l'institution peut être saisie après 30 jours d'exercice de ces pouvoirs pour "examiner si les conditions exigées par la Constitution pour l'application de son article 16 demeurent réunies". Dans le second cas, c'est au terme de 60 jours et à tout moment au-delà de cette durée que le Conseil constitutionnel "procède de plein droit à l'examen des conditions exigées par la Constitution pour l'application de son article 16". Dans les deux cas, l'avis est rendu dans les plus brefs délais.

Enfin, le chef de l'État est soumis à un contrôle politique : ses décisions "peuvent être contrôlées par le juge administratif si elles sont intervenues dans le domaine du règlement figurant à l'article 37 de la Constitution". Il peut aussi être destitué par la Haute Cour en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat, en vertu de l'article 68 de la Constitution.

L'article déclenché qu'une fois sous la Ve République

Dans toute l'histoire de la Ve République, l'article 16 a été déclenché qu'une seule fois, par le général de Gaulle en avril 1961, lors du putsch d'Alger. Il s'agit d'une tentative de coup d'État conduite par des généraux qui s'opposaient à la politique du gouvernement d'alors, qu'ils considéraient être une politique d'abandon de l'Algérie française. "Ça dure neuf mois, il tente de remettre en ordre l'État, mais il en profite également pour prendre tout un tas de mesures de manière assez discrétionnaire, sans vrai contrôle politique", relate Benjamin Morel.

Cela fait donc plus de 60 ans qu'aucun chef de l'État n'a osé appuyer sur "le bouton nucléaire constitutionnel", comme le qualifie le maître de conférence en droit public.