La création d'un nouveau corps, les administrateurs d'État, n'est pas anodine. Ce statut, qui fait l'objet d'un décret examiné, doit regrouper les hauts-fonctionnaires des différentes administrations comme les préfets et les inspecteurs généraux. C'est la conséquence de la réforme de la haute fonction publique, lancée par le président Emmanuel Macron, qui doit également acter la suppression de l'ENA. Pour l'éditorialiste Nicolas Beytout, le gouvernement franchit un nouveau cap avec la création de ce nouveau corps, qui risque de reléguer un peu plus la diplomatie française au second plan dans le monde.
6.000 cadres vont perdre l'appartenance à leur corps d'origine
La création d'un nouveau corps, celui des administrateurs de l'État, paraît assez technique. Mais la réalité, c’est que cette nouvelle entité regroupera une bonne partie des plus hauts dirigeants de l’administration française, ceux qui sont actuellement membres des fameux grands corps de l’État : préfets, diplomates, magistrats de la Cour des Comptes, inspecteurs généraux.
Ce sont près de 6.000 cadres dirigeants, comme on dirait dans le privé, qui vont être rangés sous un même statut. Et donc perdre, progressivement, leur appartenance à leur corps d’origine. C’est l’autre face de la suppression de l’ENA : on supprime également les signes distinctifs d’appartenance à une certaine élite, celle des préfets par exemple, des conseillers d’État ou des diplomates de haut rang.
Une fonction publique trop fermée ?
Pour le gouvernement, cette réforme permettra à la fonction publique d'être moins fermée. Ce qu’on reproche le plus souvent aux actuels grands corps, c’est l’entre-soi et le fait, lorsqu’on y est entré, d’être assuré d’avoir une histoire professionnelle toute tracée, à l’abri des aléas professionnels ou des évolutions du métier. Il y a quelques mois, devant des centaines de hauts-fonctionnaires, Emmanuel Macron avait soutenu que l’ENA et son classement de sortie "scellaient des destins à 25 ans, pour le meilleur et quelquefois pour le pire". Elle est là, la défiance.
Etre membre d’un grand corps, c’est avoir une carrière planifiée, c’est être protégé. C’est surtout porter les signes distinctifs d’appartenance à une élite. Ce qui évidemment est insupportable, en ces temps de "populisme light". Alors, on les supprime, tous ces signes extérieurs d’influence. Les préfets, les membres du Conseil d’État ou de l’inspection des Finances existeront toujours, mais leur recrutement ne sera plus le même. Les diplomates, eux aussi, perdront une partie de ce qui fait leur communauté, leur histoire collective. Et c’est difficile de ne pas voir dans cette disparition une manifestation du recul des ambitions de la diplomatie française dans le monde.
Les grandes heures de la diplomatie française disparaissent
Pour autant, il restera toujours des ambassades, avec des ambassadeurs, des diplomates en France et à l'étranger. Mais, une partie de ce qu’ils sont s’effacera progressivement, au fur et à mesure que leur corps se diluera. D’abord, une ambassade, c’est un lieu de représentation qui doit être à l’image de la France. Elle doit traduire le prestige, la puissance de notre pays et ceux qui l’occupent doivent être à ce niveau d’exigence.
La diplomatie française, ce n’est pas un ensemble de cadres sup piochés dans un groupe de hauts potentiels à qui on inculque le béaba des relations internationales, de l’histoire des civilisations et des conflits contemporains. Ce ne sont pas les mêmes savoirs que pour être inspecteur général de l’Éducation nationale, ou préfet. Les compétences ne sont pas les mêmes, les caractères ne sont pas les mêmes.
Faire disparaître ce genre de grand corps, c’est faire disparaître une filière d’excellence. Et ce qui est préoccupant, c’est que tout ça se produit alors que les grandes heures de la diplomatie française sont déjà en train de disparaître. Le budget des ambassades est miséreux, et la puissance de frappe de nos représentants à l’étranger s’est insensiblement affaiblie depuis quelques années. L’exemple le plus frappant de cette triste réalité se trouve à Bruxelles, où la représentation française est maintenant dépassée par la diplomatie allemande. Notre présence dans les arcanes de la Communauté européenne est passée au second plan. Notre influence y perd. Et ce n’est pas avec un machin du genre de ce nouveau corps des administrateurs de l’État que la tendance va s’inverser.