C'est une première pour un chef de gouvernement canadien. Après avoir rencontré Emmanuel Macron lundi, Justin Trudeau est attendu à 15 heures mardi, à l'Assemblée nationale. Le Premier ministre, roi de la communication, souvent considéré comme un savant mélange d'Emmanuel Macron et de Barack Obama, doit prendre la parole devant un hémicycle que la majorité veillera à remplir, histoire de ne pas réitérer l'erreur commise fin janvier, lorsque le président du Bundestag allemand Wolfgang Schäuble s'était exprimé devant des bancs désertés.
Justin Trudeau parlera notamment de l'Accord économique et commercial global (CETA) entre l'Union européenne et le Canada. Les interventions de dirigeants étrangers à l'Assemblée nationale sont en effet souvent l'occasion d'exalter les coopérations économiques entre pays alliés. Mais elles ont aussi bien d'autres utilités.
Ouvrir l'Assemblée nationale sur le monde
La première d'entre elles, qui est même à l'origine de l'organisation de ces visites, est de restaurer le faste de l'Assemblée nationale elle-même. C'est Philippe Séguin qui, lors de son passage au Perchoir entre 1993 et 1997, décide de faire du Palais Bourbon un acteur à part entière de la politique internationale française.
Il part alors du principe qu'il "faut rendre à l'Assemblée son prestige, et au président son rôle diplomatique", rappelle Muriel de l'Ecotais, docteure en droit et maîtresse de conférence en droit public, dans un article intitulé "Les innovations de Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale". "L'Assemblée émanant, comme le président de la République, de la souveraineté nationale, Philippe Séguin considère qu'au-delà de la diplomatie gouvernementale, elle doit assurer l'amitié entre les peuples et la continuité des relations, même en cas de désaccord lors de négociations menées par les gouvernements."
C'est ainsi qu'en 1993, le roi d'Espagne Juan Carlos est le premier responsable étranger à prononcer un discours devant la représentation parlementaire française sous la Ve République. Les caméras immortalisent le tour du propriétaire que Philippe Séguin, qui a du mal à cacher sa joie et sa fierté, fait faire au souverain.
Consolider les liens d'amitié entre les nations
Quasiment tous les discours donnés dans ces circonstances depuis 1993, qu'ils soient ceux des invités ou du président de l'Assemblée nationale qui les reçoit, tournent autour des relations fortes entre la France et le pays représenté. En 1993, face à Juan Carlos, Philippe Séguin avait parlé de "nations voisines" qui "appartiennent à la même histoire, la même civilisation". L'amitié historique et profonde était également au cœur de la prise de parole du roi marocain Hassan II, en 1996. Quant à l'invitation de Bill Clinton en 1994, elle avait été lancée alors que le président américain était en France pour commémorer les cinquante ans du débarquement en Normandie.
L'exercice n'est pas toujours facile, surtout lorsque les histoires communes des deux pays sont douloureuses. Invité en 2000, le président algérien Abdelaziz Bouteflika surprend tout le monde en s'exprimant dans un français impeccable et en toute franchise, alors qu'il avait annoncé une heure de discours en arabe. S'il appelle à la réconciliation d'Alger et Paris, il fustige aussi le "néocolonialisme" et l'inertie de la France alors que l'Algérie faisait face au terrorisme. Abdelaziz Bouteflika encourage également Paris à "sortir des oubliettes du non-dit de la guerre d'Algérie en la désignant par son nom" et rappelle la "lourde dette morale des anciennes métropoles, ineffaçable et imprescriptible". Difficile de faire plus cash.
Se racheter une crédibilité internationale
Du côté des dirigeants étrangers invités, l'objectif est aussi de se montrer sur la scène internationale, une invitation devant les députés français étant un signe de reconnaissance. C'était notamment le cas pour Hassan II en 1996 et Abdelaziz Bouteflika quatre ans plus tard. Dans les deux cas, il s'agissait de chefs d'État à la tête de pays en pleine transition démocratique, à la recherche de légitimité aux yeux du monde. Les deux ont d'ailleurs vanté, dans leur discours respectif, les progrès en cours dans leur pays. Abdelaziz Bouteflika avait ainsi rappelé l'importance de "l'Etat de droit et des Droits de l'homme", qui devaient être "le principe directeur de notre pratique politique".
Dans les deux cas, cela n'avait pas suffi à convaincre bon nombre de députés de venir les écouter. Plusieurs groupes de gauche avaient boycotté les deux interventions ou refusé de les applaudir en raison du non-respect des Droits de l'Homme dans les deux pays.
Dans un autre genre, Justin Trudeau est, lui aussi, à la recherche de crédibilité internationale. Non pour son pays, mais à titre personnel. Car le Premier ministre canadien revient de plusieurs séjours ratés à l'étranger. En février, il avait multiplié les faux pas lors d'une visite en Inde, s'affichant avec toute sa famille dans toutes les tenues traditionnelles possibles et imaginables au lieu d'immortaliser ses rencontres avec les politiques locaux. Sans compter qu'il a invité par erreur un sikh extrémiste impliqué dans une tentative d'assassinat sur le sol canadien en 1986. Pour Justin Trudeau, le voyage en France et le discours face aux députés doit donc être l'occasion d'enfiler, de nouveau, un costume de chef de gouvernement sérieux.
Vanter les relations économiques
Impossible, pour les dirigeants étrangers invités, de ne pas parler d'économie. Pour Justin Trudeau, ce sera l'Accord économique et commercial global (CETA) entre Bruxelles et Ottawa. Le Premier ministre canadien aura d'autant plus à cœur de le défendre que l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA) est au cœur de renégociations difficiles.
Avant lui, d'autres chefs d'État et de gouvernement avaient appuyé sur les relations économiques avec la France. Abdelaziz Bouteflika avait souligné le cruel besoin d'investissement en Algérie, le roi d'Espagne Felipe VI, invité en 2015, avait quant à lui appelé à "ne pas faillir dans notre combat pour lutter contre le chômage et réduire les inégalités". La coopération économique était même quasiment la seule raison d'inviter le président chinois, Hu Jintao, en 2004. Au moment où Airbus négociait âprement pour vendre des avions à la Chine.
Se donner le beau rôle
Enfin, une invitation à l'Assemblée nationale française est aussi l'occasion, pour certains dirigeants étrangers, de consolider un rôle qu'ils se sont donné, tant au niveau local qu'international. Par exemple, lorsque Tony Blair, Premier ministre britannique, vient devant les députés en 1998, il se transforme en véritable VRP de la "troisième voie" économique qu'il applique alors en Grande-Bretagne. Entre deux saillies d'humour very british, le jeune chef de gouvernement explique notamment que "la gestion de l'économie n'est ni de gauche, ni de droite : elle est bonne ou mauvaise". Un condensé de sa philosophie politique qui n'est pas sans rappeler celle d'Emmanuel Macron.
Dans un autre genre, lorsque Bill Clinton se présente en 1994, à l'époque où la guerre en ex-Yougoslavie fait rage, au début de celle en Tchétchénie, il insiste beaucoup sur la "nécessité de l'action maintenant" pour maintenir la paix en Europe. Et appelle à élargir l'Union européenne vers l'Est. Ce qui n'a rien d'un hasard pour un président très engagé dans le processus de réconciliation israélo-arabe. Son discours de l'époque vient alors conforter sa stature d'artisan de la paix internationale.