Le débat public est déjà saturé des thèmes qui prédomineront dans le cadre de la campagne présidentielle, qu'ils reflètent réellement les inquiétudes des Français ou soient imposés par les acteurs politiques et médiatiques. Quoi qu'il en soit se dégagent des positions tranchées, via des personnalités très différentes. Que ce soit l'écologiste Sandrine Rousseau, qui assume le fait d'être "radicale", ou Éric Zemmour, qui n'est pourtant candidat à rien pour l'instant mais est traité comme tel sur les plateaux et derrière les micros, des positions antagonistes se dessinent. Pour Raphaël Enthoven pourtant, cela ne signifie pas que le débat d'idées soit si vivifiant que cela.
"Le retour des positions confortables"
"Il se passe des choses mais j’ai plutôt le sentiment que c’est le retour des postures, des positions confortables", estime le philosophe lundi matin sur Europe 1. "Être mesuré c’est difficile, c’est exigeant. Faire des concessions, c’est délicat. Alors qu’être radical, cela n’engage à rien", explique-t-il encore. "Qui dit 'tout ou rien' considèrera que la totalité de rien vaut mieux que la moitié de quelque chose et se retirera du jeu."
Raphaël Enthoven ne renvoie pas Éric Zemmour et Sandrine Rousseau dos à dos, reconnaissant des différences fondamentales entre les deux. Mais pour lui, "ils ont en commun l'un et l'autre de penser au-delà du possible". Ainsi, "le projet d'Éric Zemmour d'interdire le voile dans l'espace public n'a aucun sens, cela n'arrivera jamais mais cela fait plaisir de le souhaiter". De l'autre côté du spectre politique, "le projet de Sandrine Rousseau d'accueillir toutes les femmes afghanes n'a aucun sens non plus mais cela fait plaisir de le souhaiter".
"Des idées qui n'ont plus de socle"
Pour Raphaël Enthoven donc, "sous l'alibi de donner des idées, on est là en présence d'idées qui n'ont plus de socle". Plus de socle, peut-être, mais en revanche elles rencontrent un écho certain. Sandrine Rousseau a créé la surprise au premier tour de la primaire écologiste en venant talonner Yannick Jadot, arrivant en seconde position. Éric Zemmour, lui, magie des sondages, est crédité d'environ 10% des suffrages alors qu'il ne fait toujours pas connaître ses intentions réelles pour 2022. "Peut-être que la recherche de radicalité est alimentée [chez les électeurs] par le sentiment qu’une fois au pouvoir, finalement, on fait toujours un peu la même chose" quel que soit son bord politique, analyse le philosophe.
Lui appelle donc à de la mesure sur le fond. "On doit penser dans les limites du possible et cela me paraît plus difficile et plus exigeant que de forger de toutes pièces un système dont on n’espère pas soi-même qu’il arrive." Mais sur la forme aussi. "En démocratie, on fait grand cas du débat. Mais des vrais débats, on n’en a très peu", regrette Raphaël Enthoven. "J’appelle véritable débat un moment où deux personnes soucieuses de rationalité sont capables de dire que l’autre a raison, de mettre la vérité en partage communément." À l'inverse aujourd'hui, juge-t-il, "ce qu’on appelle débat, c’est une juxtaposition d’invectives ou de monologues hermétiques".