Plutôt 300 milliards d'euros par an, selon Benoît Hamon, qui est pour. Non, 400 milliards, réévalue Vincent Peillon, qui est contre. L'Institut Montaigne, lui, coupe la poire en deux : le revenu universel d'existence, sujet majeur de la primaire de la gauche, devrait en réalité coûter 349 milliards annuel en vitesse de croisière. Comme cette mesure, de nombreuses autres font l'objet d'un chiffrage précis de la part des candidats à la présidentielle de 2017. Chiffrage lui-même souvent critiqué ou jugé imprécis par les adversaires politiques comme par les commentateurs. Mais au fait, comment font les candidats et les think tank pour évaluer le coût d'une politique publique ?
Être rigoureux. Dans l'équipe d'Arnaud Montebourg, candidat à la primaire de la gauche, on a procédé selon des étapes bien précises, toutes coordonnées par un directeur de cabinet. D'abord, le candidat fixe une ligne politique directrice. "Puis, les mesures sont chiffrées une par une de façon rigoureuse, exactement comme on le ferait pour un plan de loi de finances", explique Mathieu Plane, chargé de la "cohérence macroéconomique" du programme du chantre du Made in France et par ailleurs économiste au département analyse et prévision de l'OFCE. Enfin, "il faut faire rentrer ce chiffrage dans un cadrage macroéconomique, c'est-à-dire évaluer l'impact de la mesure sur la croissance, l'emploi et les finances publiques". Pour surtout ne laisser aucune place au hasard – et aucune prise à la critique.
" "Les mesures sont chiffrées comme on le ferait pour un plan de loi de finances" "
Bien s'entourer. Comme on le ferait pour un plan de loi de finances, on s'appuie sur des données publiques. Les rapports de l'OCDE, les documents publiés par les directions de la prospective des ministères. "Les économistes travaillent aussi avec des modèles qui permettent de faire un travail de simulation", détaille Nicolas Matyjasik, coordinateur du projet de Benoît Hamon. Dans ce processus interviennent bien évidemment des économistes. Mais pas que. "On travaille aussi avec des chercheurs universitaires et des hauts fonctionnaires de différents corps", précise Nicolas Matyjasik. "On essaie de multiplier les expertises."
L'ancien ministre de l'Éducation nationale a par exemple fait appel à Aurore Lalucq, économiste coordinatrice de l'institut Veblen, qui s'intéresse à la transition écologique. Ou Nicolas Postel, chercheur au Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques. Chez Benoît Hamon, "des experts viennent à nous, on va en chercher d'autres. Toutes les prises de décision se font après avoir reçu un éclairage".
Rassembler les points de vue. Avec l'objectif, aussi, de rester "connecté" aux milieux associatifs et militants. Sur le revenu universel par exemple, les équipes de Benoît Hamon ont entretenu des contacts réguliers avec le Mouvement français pour le revenu de base. "On voit des gens qui ne sont pas forcément hamonistes mais veulent que leurs idées soient portées", note Nicolas Matyjasik. La politique n'est évidemment pas en reste. Auprès d'Arnaud Montebourg, on retrouve ainsi Pierre-Alain Muet, docteur en sciences économiques et ancien de l'OFCE, désormais député du Rhône. Vincent Peillon, lui, a été rejoint par Valérie Rabault, élue du Tarn-et-Garonne et première femme à occuper le poste de rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
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Avoir un projet réaliste. Avec pléthore de conseils et d'inspirateurs tous plus qualifiés les uns que les autres, tous les candidats poursuivent le même but : "éviter de tomber dans la surenchère en proposant des mesures qui ne sont pas finançables", explique Mathieu Plane. Lui estime avoir fait en sorte que le programme d'Arnaud Montebourg soit "directement opérationnel" en cas d'élection. "L'objectif reste d'avoir un projet réaliste et un cadrage budgétaire sérieux", abonde Nicolas Matyjasik. Qui précise cependant que, sur certaines mesures, tous les détails ne sont pas dégainés si tôt. "Il faut garder quelques billes pour contrer la droite après la primaire."
Inciter à l'exactitude. La précision et l'exhaustivité, c'est pourtant ce qu'attend l'Institut Montaigne. Et c'est pour "inciter les candidats" à se montrer les plus exacts possibles que le think tank a mis en place son propre chiffrage des programmes en 2012, dans un contexte de forte préoccupation sur l’état des finances publiques. Cinq ans plus tard, l'Institut a réitéré l’opération pour les primaires de droite et de gauche.
Le chiffrage n’est pas réalisé par l’équipe de l’Institut mais confié à une quinzaine de hauts fonctionnaires en activité. Ces experts prennent sur leur temps personnel pour chiffrer, en duo, les mesures relatives à leur spécialité. "Toutes les mesures ne font pas l’objet d’un chiffrage", explique Fanny Anor, chargée d’études à l’Institut Montaigne. "Nous choisissons les plus pertinentes et transmettons aux 'chiffreurs'". Leurs résultats sont supervisés par un 'chiffreur capé' puis passent par une relecture des équipes permanentes de l’Institut Montaigne (voir ci-dessous pour le déroulé du chiffrage).
" "Le chiffre gouverne. On en oublie la raison pour laquelle on fait des politiques publiques." "
Collaborer avec les candidats. Le think tank travaille en collaboration avec les équipes des candidats. "Nous faisons le point avec eux, notamment pour leur demander des clarifications", précise Fanny Anor. "Nous leur transmettons les résultats de notre chiffrage avant publication pour qu’ils puissent éventuellement préciser leur programme." La chargée d’études du think tank ajoute qu’il arrive que "des candidats reprennent à leur compte les estimations de l'Institut Montaigne. Notamment car ils n’ont pas toujours le temps de chiffrer précisément toutes leurs mesures et se contentent d’ordres de grandeur".
Si l'Institut se défend de chercher à "mettre en difficulté les candidats" et explique vouloir "plutôt apporter aux électeurs un éclairage sur un sujet complexe et peu documenté", du côté de l'entourage des politiques, on déplore parfois cette obsession du chiffre. "Le niveau de détail demandé par l'Institut Montaigne, mais aussi par les journalistes, est hallucinant", glisse Nicolas Matyjasik. "Il faut déjà avoir un truc ficelé, imparable, inattaquable."
Ne pas abuser des chiffres. Le coordinateur du programme de Benoît Hamon juge que cela relève de la "quantophrénie". "Le chiffre gouverne. On en oublie la vie sociale et la raison pour laquelle on fait des politiques publiques." Selon lui, au-delà même du fait que, parfois, une mesure peut avoir besoin d'un "temps de maturation", et son chiffrage évoluer en conséquence, le plus important n'est pas là. "Il y a une économisation de la société. Mais avoir une vision politique, une vision du monde, c'est aussi ça qui compte. Je crois qu'il vaut mieux avoir un discours qui parle concrètement aux gens. C'est ce que fait Benoît Hamon, et c'est pour ça que sa candidature prend."
L'EXEMPLE CONCRET
Prenons un exemple pratique avec le revenu universel d’existence de Benoît Hamon.
Le candidat propose une mesure en trois étapes : augmentation de 10% du RSA à 600 euros et versement automatique à tous les ayant-droits et au 18-25, sans condition de ressources ; extension à l’ensemble de la population ; revalorisation à 750 euros. Voilà comment l’Institut Montaigne effectue le chiffrage :
- Augmentation du RSA à 600 euros. En 2015, le RSA socle de 514 euros coûtait 10,5 milliards d’euros. L’augmentation coûterait 12,2 milliards.
- Versement automatique à tous les ayant-droits. Aujourd’hui, 64% des bénéficiaires potentiels du RSA le perçoivent effectivement. Le passage à 100% coûterait entre 4,1 et 6,9 milliards supplémentaires.
- Extension à tous les 18-25 ans, sans condition de ressources. 5,4 millions de jeunes seraient concernés pour un coût de 32,1 à 38,9 milliards par an, selon que l’on supprime ou non les aides existantes pour cette tranche d’âge (Benoît Hamon ne l’évoque pas).
- Application à l’ensemble de la population. En 2015, il y avait 51,6 millions de Français de plus de 18 ans et plus. Assurer à chacun un revenu de 600 euros par mois coûterait 372 milliards d’euros ou 260 milliards en cas de condition de ressource qui pourrait être un plafond de revenu à 2.000 euros.
- Augmentation du revenu universel à 750 euros. L’augmentation finale coûterait entre 325 milliards (si condition de ressource) et 464 milliards d’euros par an à l’État (respectivement 15 et 21% du PIB de 2015).
- Calcul des recettes. Si la création du revenu universel s’accompagne de la suppression d’autres aides comme le quotient familial ou les prestations familiales, il dégagerait 159 milliards de recettes annuelles, contre 41 milliards si les aides sont préservées.
- Résultat net avec trois scénarios. L’Institut Montaigne propose trois fourchettes selon les hypothèses envisagées à chaque étape de calcul du coût du revenu universel. Une basse à 305 milliards (le plus proche l’estimation de 300 milliards avancée par Hamon), une médiane à 349 et une haute à 424.