Au mieux, certains y verront une preuve d’amateurisme. Au pire, d’autres jugeront que le Parti socialiste a délibérément voulu gonfler le nombre de participants au premier tour de la primaire. Car près de 24 heures après la fermeture des bureaux de vote, le plus grand flou persiste autour de la participation, un flou entretenu par les déclarations contradictoires et les explications alambiquées des responsables du scrutin. La suspicion désormais de mise, et ce n’est pas une bonne nouvelle pour le parti installé rue de Solférino.
- Le nombre de votants grimpent, mais les pourcentages ne bougent pas
C’est l’une des plus grandes bizarreries relevées dans la nuit de dimanche soir à lundi. A 22h43, le compte Twitter officiel de la primaire faisait état de 1.337.820 votants sur 79,54% des bureaux de vote. Des résultats d’une grande précision qui avaient tous les aspects d’une stricte exactitude. Mais quelques minutes plus tard, le compteur du nombre de votants disparaissait du site des résultats. Problème réglé lundi matin à 10 heures, où ledit compteur réapparaissait, avec cette fois 1.601.139 votants, soit 263.318 électeurs de plus. Une bonne nouvelle pour le PS, qui franchissait là l’objectif fixé de 1,5 million de votants, fixé avant le scrutin. Sauf que le pourcentage accordé aux candidats, lui, n’a pas bougé d’un iota, d’une virgule, d’un point.
Participation aux #PrimairesCitoyennes : 1 337 820 votants sur 79,54% des bureaux de vote pic.twitter.com/II3YdXjoOP
— Primaires citoyennes (@lesprimaires) 22 janvier 2017
Inutile d’avoir un bac S pour savoir que la possibilité que les résultats ne changent pas, avec un nombre de votants nettement supérieur, est statistiquement improbable, voire infime. Fait aggravant : les pourcentages accordés aux candidats n’ont pas bougé donc, mais le nombre de voix recueillies a lui augmenté. En proportion égale, de l’ordre de 28 à 28,2% pour chaque participant, pour que les résultats restent les mêmes, selon les calculs du Monde. Vous avez dit étrange ?
Petit bonus : lundi matin, il manquait encore 161 voix entre le total affiché le l’addition du score des candidats, selon le décompte de Libération. Ces suffrages ont discrètement été ajoutées au score de Sylvia Pinel, qui s’est donc vue royalement gratifier de 0,1% de plus (de 1,97 à 1,98%).
- Des explications alambiquées
Interrogé sur cette étonnante évolution, Christophe Borgel, le président du comité d’organisation, a plaidé l’erreur technique. "Il y a eu un bug, rien de plus", assure le député de Haute-Garonne dans Libération. L’élu PS aurait peut-être dû s’arrêter là. Car le reste de son explication ressemble fort à un aveu masqué. "Et c’est un peu de ma faute. Il y avait beaucoup de pression autour du niveau de participation, j’ai demandé à ce que les résultats soient actualisés au plus vite. Et effectivement, on a appliqué au nouveau total de votants les pourcentages de la veille", lâche-t-il. Décision a donc bel et bien été prise de répartir les nouveaux votants comptabilisés pour que les pourcentages ne changent pas. Incroyable, mais vrai.
Cela n’a pas empêché les organisateurs de s’étonner de la polémique, lundi en début d’après-midi. "Il n'y a pas de participation gonflée. Jamais la Haute autorité ne l'aurait accepté, jamais le Comité national d'organisation des primaires ne l'aurait proposé, et jamais le prestataire de service ne l'aurait mis en place", a juré Thomas Clay, le président de la Haute autorité, avant de détailler : "nous avons ce matin à 10 heures, 1,601.138 votants sur 95% des bureaux de vote dépouillés. Donc on est exactement dans la trajectoire qui avait été annoncée dès hier soir et je ne comprends pas pourquoi il y a un sujet qui monte sur cette participation". Thomas Clay a peut-être mis là le doigt sur l’erreur originelle, celle d’avoir, dès 20h30 dimanche soir, annoncé que le nombre de votants se situait "entre 1,5 et 2 millions, sans doute plus proche de 2 millions". Et de contraindre, peut-être, le PS, a tout faire pour que cette déclaration finisse par être vraie.
- Un certain amateurisme
Les dysfonctionnements ont été nombreux. Toute la soirée, le site des résultats a donné des heures de mise à jour surprenantes, avec parfois des retours en arrière. Et puis il y a eu cette disparition très remarquée du nombre total de votants, à partir de 23 heures environ. "Le compteur a disparu (...) pendant la nuit, les prestataires qui s'occupent du site informatique n'ont pas travaillé et c'est bien normal", a jugé Christophe Borgel. Certains journalistes, deux du Monde et une de Buzzfeed, ont aussi pu voter deux fois, dans deux bureaux différents, puisque dans certains cas, un justificatif de domicile suffisait.
Au final, l’ensemble donne l’image d’un amateurisme certain, confirmé par Christophe Borgel. "Il y a eu bug sur bug. Je ne sais pas si c’est la société prestataire (qui gère les remontées des bureaux) ou le service informatique en interne qui est responsable, et je ne vais pas jeter la pierre à des gens qui travaillent comme des fous sur cette énorme machine qu’est la primaire", a-t-il déclaré à Libération.
- Les résultats définitifs connus dans la semaine
Lundi soir, la Haute autorité de la primaire s'est fendu d'un communiqué pour donner de nouveaux chiffres. Après dépouillement de "94,45% des bureaux de vote, soit 6.808", la participation s'élève désormais à près d'1,6 million de votants. Benoît Hamon récolte finalement 35,86% des voix, devant Manuel Valls à 31,22% et Arnaud Montebourg à 17,30%. Suivent Vincent Peillon (6,79%), François de Rugy (3,82%), Sylvia Pinel (1,98%) et Jean-Luc Bennahmias (1%). "Force est de constater que les écarts sont marginaux", souligne la Haute autorité.
Au final, les résultats définitifs ne seront validés que dans le courant de la semaine, a affirmé Christophe Borgel à l’AFP. Le président du Comité national d'organisation de la primaire a indiqué que la participation finale pourrait s'approcher de la barre des 1,7 million de votants. Mais quel qu’il soit, le chiffre définitif sera sujet à interrogations. Et c’est déjà une certitude : il va falloir faire beaucoup plus transparent pour le second tour.