Trois jours après la fuite de certains de ses propos sans filtre devant des étudiants à Lyon, ils ne sont pas nombreux, du côté des Républicains, à se précipiter pour prendre la défense de leur président Laurent Wauquiez. Il faut dire qu’à première vue, ses attaques à la sulfateuse, révélées vendredi par Quotidien, sur Emmanuel Macron ou Gérald Darmanin, ses révélations sur Nicolas Sarkozy qui auraient espionné ses ministres, ou sa phrase sur le "bullshit" servi aux médias ont de quoi semer le trouble. Mais une deuxième lecture, plus à froid, n’est finalement pas si négative pour le chef des Républicains.
Sur la forme, un "parler vrai" qui colle à son image
Laurent Wauquiez s’est spécialisé depuis quelques années dans les formules chocs et les propos polémiques. Ce qu’il a dit devant les étudiants de l’EM Lyon, ou plutôt la façon dont il l’a dit, ne détonne pas avec le style du personnage. "Il a souhaité s’exprimer avec sincérité, sans langue de bois. J’aime cette façon de s’exprimer", a d’ailleurs affirmé lundi sur Europe 1 Virginie Duby-Muller, nommée secrétaire générale adjoint des Républicains par Laurent Wauquiez. "Je préfère ces propos à des propos qui sont parfois tièdes. On attend des politiques qu’ils s’expriment de façon sincère et franche", a insisté la vice-présidente du groupe LR à l’Assemblée.
"Cet épisode souligne sa cohérence". "Cette liberté de ton peut trouver un écho au sein de l’électorat de droite", confirme par ailleurs un député du parti de droite à Europe 1. "Chez ses partisans, il se montre comme l'homme du parler vrai. Et chez ses opposants, il reste cet épouvantail outrancier, brutal, qui selon lui ‘dérange’. En fait, quelque part, cet épisode souligne sa cohérence", analyse dans L’Express Arnaud Mercier, spécialiste en communication politique.
Sur le fond, il ne se dédit pas
Lancé dans une opération de reconstruction et de refondation de son camp sur une ligne très droitière, Laurent Wauquiez ne pâtira certainement pas, politiquement, de ses propos sur Gérald Darmanin. "Il sait ce qu’il a fait, (et) il va tomber. C’est Cahuzac puissance 10", avait lancé le président des Républicains au sujet du ministre des Comptes publics, ancien membre de LR passé à La République en marche. La cible n’est pas choisie au hasard. Gérald Darmanin, c’est le "traître absolu pour l’électorat LR, lui taper dessus, c’est caresser ses supporters dans le sens du poil", estime dans 20minutes Bruno Cautrès, du Cevipof.
"Pour sa base, ce n’est que dire une vérité". Quant aux attaques sur Emmanuel Macron, qui aurait téléguidé l’entreprise de démolition du candidat François Fillon à la présidentielle, elles sont dans la droite ligne de la stratégie adoptée par Laurent Wauquiez : tirer à boulets rouges sur le président de la République. En outre, ces propos "ne vont pas causer de tort à la crédibilité que lui porte sa base qui s'est droitisée ces derniers temps", estime Arnaud Mercier. "Pour l'opinion publique, le voir s'adonner à des théories du complot est risible. Mais pour sa base, ses militants, ce n'est que dire une vérité que certains ne veulent pas entendre."
S’affranchir de Nicolas Sarkozy ? Reste le problème Nicolas Sarkozy, qui n’a pas du tout apprécié d’être ainsi mis en cause, et qui s’est contenté de "prendre note" de manière lapidaire des excuses de Laurent Wauquiez. L’ancien président de la République reste extrêmement populaire auprès de l’électorat de droite. Pour autant, cette sortie, volontairement rendue publique ou non, pourrait permettre au patron des Républicains de s’affranchir d’une figure tutélaire parfois encombrante. "Il a fait un mea culpa de circonstance, mais je suis convaincu que, pour beaucoup de militants LR, le souvenir de Nicolas Sarkozy est depuis longtemps effacé", juge Arnaud Mercier. "Même s'il existe encore une influence sarkozyste, je ne pense pas qu'il y ait de nostalgie sarkozyste."
La victimisation en stratégie de défense
Pour sa défense, Laurent Waquiez, qui s’est personnellement contenté d’un communiqué menaçant les journalistes de Quotidien de suites judiciaires, a envoyé ses lieutenants au front avec deux axes. La méthode d’abord. "Ces procédés sont absolument indécents", s’est indignée Laurence Sailliet, porte-parole de LR, lundi sur CNews. "Pensez-vous qu'il y a aujourd'hui encore en France de la déontologie journalistique?", s’est-elle interrogée, laissant entendre que les étudiants participant au cours avaient été sollicités en amont par les journalistes.
"Il va répéter qu’on lui en veut, qu’on veut l’intimider". L’autre axe de défense, c’est la victimisation, souvent payante en politique. "Cet événement intervient à un moment où Laurent Wauquiez enchaînait des séquences positives, qu’il s’agisse de l’Emission politique, des élections partielles que nous avons gagnées. J’ai l’impression que tout cela a été aussi orchestré", a accusé Virginie Duby-Muller sur Europe 1. Une stratégie qui devrait se poursuivre dans les jours à venir, selon Arnaud Mercier. "Je pense qu'il va (…) répéter qu'on lui en veut, qu'on veut l'intimider ou le déstabiliser parce qu'il incarne celui qui veut faire renaître la droite", explique le spécialiste en communication politique. "Et que ça dérange le milieu parisien constitué de journalistes gauchistes, comme il aime le répéter en se désignant comme un homme de la base..."
Opération de com’ ou loupé ?
Les conséquences des fuites sorties par Quotidien ne pourraient donc pas être si catastrophiques pour Laurent Wauquiez. Au contraire. Certains suspectent même le président de LR d’avoir orchestré cette affaire. Les attaques dévoilées sont autant de "missiles téléguidés sur des cibles très précises, trop précises pour être naturelles", juge dans 20minutes Philippe Moreau-Chevrolet, communicant. "Deux hypothèses : ou Laurent Wauquiez est extrêmement naïf, ou nous sommes devant une opération buzz très bien faite, qui lui permet de dire ce qu’il ne peut pas dire sur un plateau télé tout en se gardant la possibilité de s’excuser ou de dire qu’il a mal été compris" ; poursuit le président de MCBG Conseil. Tout en se gardant de trancher, Bruno Cautrès rappelle de son côté que "Laurent Wauquiez est tout sauf un amateur sur la communication"
"Il va retomber sur ses pattes". Arnaud Mercier, lui, ne souscrit pas à l’hypothèse. "Je n'y crois pas un seul instant. Je pense que ça lui a totalement échappé. Et c'est une erreur politique et de communication grave. Même si c'est un homme politique expérimenté et jamais avide de stratégies, je ne crois pas que Laurent Wauquiez atteigne un tel niveau d'intelligence machiavélique", estime dans L’Express le chercheur associé au CNRS, qui tempère : "Ce n'est pas parce qu'il se ridiculise par cette sortie incontrôlée, selon moi, qu'il ne va pas retomber sur ses pattes. Au contraire, il va savoir s'en servir."