C'est un véritable condensé de la philosophie macroniste qu'Emmanuel Macron a offert, mercredi, au congrès de la Mutualité Française à Montpellier. Le président, qui prenait la parole pour exposer sa vision de la protection sociale, était attendu au tournant.
Depuis des semaines, les annonces et démentis sur de potentielles baisses des aides sociales par différents membres du gouvernement ont enflammé les débats. Au sein même de sa majorité, le chef de l'État était pressé par certains parlementaires, peu à peu en train de s'imposer comme l'aile gauche de LREM, d'effectuer un virage social après avoir privilégié des réformes économiques libérales la première année du quinquennat. Le matin même, une vidéo de la préparation du discours postée par la conseillère communication de l'Élysée Sibeth Ndiaye était abondamment commentée sur Twitter et Emmanuel Macron critiqué pour avoir parlé de "responsabiliser" les plus pauvres.
Le chef de l'État devait donc se livrer au délicat exercice de l'esquisse des réformes à venir en faisant taire les reproches et les procès en excès de mépris. Prenant le temps de bien expliquer sa pensée, il a de fait déroulé un argumentaire reprenant tous les points clefs de sa vision socio-économique, déjà exprimée à Bercy, en campagne, puis à l'Élysée.
Rejouer la bataille de l'ancien contre le nouveau monde
Le président a ainsi rejoué la querelle des Anciens et des Modernes, des passéistes crispés sur des acquis jugés désuets et du nouveau monde censé incarner le progrès. "Notre choix est simple, c'est un choix entre deux fidélités", a ainsi déclaré Emmanuel Macron en s'adressant aux défenseurs du modèle de l'État-providence bâti en 1945. "Soit nous restons fidèles à un système qui n'est plus conforme aux attentes de nos concitoyens, soit nous choisissons d'être fidèles aux valeurs qui nous unissent pour rendre les droits effectifs et concrets."
Autrement dit : bien que le modèle social de 1945 "nous honore", il "convenait parfaitement à un peuple meurtri et une nation en reconstruction", mais plus à la France du 21e siècle. Emmanuel Macron entend garder de ce système la "philosophie qui l'a fait naître" tout en l'adaptant. Appelant, comme souvent, à ne "pas avoir peur du changement", le chef de l'État s'est dit convaincu qu'il ne fallait pas non plus devenir "les vestales d'un système social" obsolète, ni "céder à l'adoration des totems". "Je préférerais toujours la justice sociale effective aux incantations et au fétichisme."
Opposer droits réels et formels
Cette "effectivité" des droits s'est retrouvée au cœur du discours de mercredi. "Dans les faits, ce que nous constatons, c'est qu'elle est remise en cause tous les jours", a estimé Emmanuel Macron. "Les droits promis ne sont pas les droits réels. Nous avons maintenu les droits formels sans nous soucier qu'ils soient réels." Un argumentaire qui rappelle fortement celui employé par le président lorsqu'il était encore à Bercy et défendait sa loi Macron. À l'époque déjà, le ministre de l'Économie de François Hollande faisait la différence entre les droits sur le papier et les droits effectifs, pointant par exemple qu'un travail le dimanche autorisé, donc encadré par la loi, apporterait plus de droits pour les travailleurs qu'un travail le dimanche toléré dans certains cas seulement et peu contrôlé.
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Dans le cas précis de la protection sociale, Emmanuel Macron estime ainsi qu'un meilleur accompagnement de la pauvreté permettra plus sûrement aux personnes modestes de s'en sortir qu'une augmentation des minima sociaux. "La solution n'est pas de dépenser toujours plus d'argent", a-t-il tranché. Alors que "les inégalités sont devenues statutaires", le président préfère un "accompagnement" aux réponses "budgétaires ou monétaires".
"Accompagner" vers la sortie de la pauvreté
Cette notion d'accompagnement est, elle aussi, au cœur de la philosophie d'Emmanuel Macron, qui vantait déjà la "fin de l'assignation à résidence" en parlant des banlieues, et l'a répété pour parler de la pauvreté. Le chef de l'État estime que le système actuel est "peu humain" car il "ne permet pas à ceux qui tombent dans la pauvreté de s'en sortir au plus vite". "Nous avons augmenté le RSA de 80% ces dix dernières années, et baissé l'accompagnement de 40% en termes de dépenses. Ce chiffre dit tout", a souligné le président. "La moitié de celles et ceux qui sont au RSA y sont toujours après quatre années." Emmanuel Macron penche donc plutôt pour un modèle basé sur l'émancipation.
Cela lui a donné l'occasion d'expliquer plus précisément ce qu'il entendait par la "responsabilisation" des plus pauvres, formulation entendue dans la vidéo postée par sa conseillère Sibeth Ndiaye sur Twitter et très critiquée. Emmanuel Macron a fait la distinction entre d'un côté les plus fragiles et les plus modestes, qui ne "choisissent pas cette situation", n'ont pas les moyens de sortir rapidement de la "grande exclusion" et à qui il faut apporter des "soins humains, de l'attention", et de l'autre "ceux qui peuvent revenir vers le travail mais rien n'incite". Pour ceux-là, le président a dégainé une nouvelle fois le discours "et en même temps". "Il faut responsabiliser et accompagner", a-t-il assumé, incitant à "ne pas considérer que la seule réponse, c'est l'argent de la collectivité".
La libération par le travail
Enfin, le chef de l'État a de nouveau exalté les bienfaits du travail comme "clef de l'émancipation". Toujours en parlant de ces personnes pauvres mais qui, selon ses distinctions, peuvent "revenir vers le travail", Emmanuel Macron a précisé qu'il était du devoir des pouvoirs publics de leur "faire retrouver une activité". "Parce qu'elles en sont capables, et parce que par ce chemin, elles aideront la collectivité à dépenser son argent vers les plus vulnérables", a-t-il expliqué.
Considérer le travail comme la pierre angulaire non seulement de la libération économique, mais aussi de la "dignité", voilà encore une antienne macroniste. "Le travail, ce n'est pas une souffrance. C'est ce qui nous donne une place dans la société, c'est ce qui nous donne notre dignité, c'est ce qui nous permet de nous émanciper, de trouver confiance en nous", disait celui qui n'était alors que candidat lors d'un meeting à Paris en décembre 2016.