L'homme n'aime ni la lumière, ni les portraits. Même celui en dernière page de Libération, petite consécration du petit gratin parisien, a été décliné. Ce n'est pas comme ça qu'Ismaël Emelien voit son métier. Plutôt logique pour un conseiller de l'ombre, serait-on tenté de croire, mais il n'aurait pas été le premier à vouloir des éclipses de notoriété. Depuis 2014, le jeune homme -30 ans cette année- est l'un des plus proches d'Emmanuel Macron. À ses côtés à Bercy, il l'est toujours au sein d'En Marche!. Et devrait, naturellement, continuer de l'accompagner à l'Élysée.
Premiers pas rue de la Planche. Les deux hommes se sont rencontrés en 2009. Mais l'histoire de celui que tous ses collègues appellent "Isma" commence trois ans plus tôt. Le natif de Grenoble n'a alors que 19 ans et l'un de ses professeurs à Sciences Po, Dominique Strauss-Kahn, l'entraîne dans sa première aventure politique : la campagne de la primaire de 2006. DSK perd mais ces mois au QG du candidat, rue de la Planche, dans le 7e arrondissement de Paris, ne seront pas perdus pour autant. Ismaël Emelien apprend le métier. Surtout, il rencontre Gilles Finchelstein, strauss-kahnien, directeur général de la Fondation Jean Jaurès et chargé d'études chez Euro RSCG, la société de communication dirigées par Stéphane Fouks.
"C'est l'un des meilleurs". C'est ce dernier qui le cornaque les années suivantes au sein de la Fondation, mais aussi d'Euro RSCG, où il le fait embaucher. Ismaël Emelien se rôde à la veille des moindres mouvements d'opinion, à la communication de crise, à la stratégie politique. Un poste qui l'amènera, comme l'a révélé L'Express, à participer brièvement à la campagne de Nicolas Maduro, prétendant à la présidence du Venezuela à l'époque. Aujourd'hui, il est devenu "l'un des meilleurs" stratèges politiques de Paris, selon Laurent Bigorgne, ami proche d'Emmanuel Macron et directeur de l'Institut Montaigne dans Challenges. "Il a des fulgurances."
Duo à Bercy. Rien d'étonnant à ce que ces fulgurances tapent dans l'œil d'Emmanuel Macron lorsque les deux hommes se croisent, d'abord dans le cadre des activités de la Fondation Jean Jaurès puis, à partir de 2012, à l'Élysée. Ils sont de la même génération, celle qui n'a pas envie de végéter pendant des années avant de pouvoir se lancer à la conquête du pouvoir avec l'accord du Parti socialiste. Ils s'estiment, se font confiance. Lorsqu'en 2014, Emmanuel Macron quitte le secrétariat général de l'Élysée avec l'idée de monter une entreprise, Ismaël Emelien est partant. Finalement, à la faveur d'une cuvée du redressement qui tourne mal et d'un remaniement, le projet change mais le duo reste. Tout le monde part au troisième étage de Bercy, au ministère de l'Économie.
" C'est l'un des meilleurs. Il a des fulgurances. "
Roi du story-telling. Le Grenoblois se charge de la stratégie, de la communication et des discours de l'Amiénois. C'est lui, notamment, qui chapeaute toute la mise en scène autour de la présentation de la loi Macron au Parlement début 2015. À l'époque, Bercy met le paquet pour montrer que le père de ce texte si controversé attache de l'importance au dialogue avec les députés. Chaque jour d'examen à l'Assemblée, le ministère se fend de communiqués pour expliquer, un à un, les amendements votés, soulignant les discussions et les "enrichissements" apportés par les élus –joli terme pour désigner les compromis bâtis sur des désaccords profonds. Ce faisant, Ismaël Emelien construit patiemment tout un story-telling qui accompagne encore aujourd'hui le nouveau président de la République : celui d'un homme qui adore le débat d'idées et respecte les institutions parlementaires.
"Je propose, il décide, j'exécute". Œuvrant discrètement à Bercy, c'est tout aussi discrètement qu'Ismaël Emelien quitte le ministère, dès la fin avril 2016, pour rejoindre le mouvement En Marche!, créé deux semaines plus tôt à Amiens. Il y occupe les mêmes fonctions qu'au ministère, "en charge de la stratégie et de la communication". Après la démission d'Emmanuel Macron, les deux hommes retrouvent leurs habitudes. Dans le documentaire de Yann L'Henoret, "Macron : les coulisses d'une victoire", diffusé lundi soir sur TF1, le grand public a pu découvrir le visage du conseiller, lunettes à grosses montures et barbe de trois jours. On l'y voit, en doudounes sans manches claire, du genre taiseux, sortir de son silence pour dispenser quelques conseils –"Il faut que tu aies à chaque fois la caresse et la claque", dit-il à Emmanuel Macron.
S'il n'aime pas parler de lui, il faudra donc que d'autres s'en chargent. Quentin Lafay, qui travaillait déjà à ses côtés à Bercy avant de se charger de la coordination des groupes de travail chez En Marche!, décrit un "garçon formidable". "Discret, bienveillant, c'est un formidable stratège qui apporte sans cesse des idées nouvelles", martèle-t-il. "Cette campagne lui doit beaucoup." Dans les colonnes de Libération, Ismaël Emelien, lui, résumait ainsi son rôle auprès d'Emmanuel Macron : "Entre nous, c'est simple. Je propose, il décide, j'exécute." "Formidable", et modeste avec ça.