S'il est un domaine dans lequel le flacon importe autant que l'ivresse, c'est bien la politique. Mal emballée, une réforme peut plomber un quinquennat. Bien présenté, un projet de loi potentiellement explosif peut passer sans difficulté. Nulle surprise, donc, à ce que le gouvernement ait soigneusement peaufiné la communication autour de la présentation, lundi, de la réforme de la SNCF. C'est Edouard Philippe, très souvent envoyé défendre les mesures les plus controversées, de l'abandon de Notre-Dame-des-Landes à la baisse des limitations de vitesse, qui s'est retrouvé en première ligne une nouvelle fois. Ce faisant, le Premier ministre a laissé entrevoir ce que serait la stratégie de l'exécutif sur ce futur projet de loi. Quelque part entre l'opération déminage et la fermeté.
Étouffer les départs de feu. Sur un chantier comme celui-ci, propice à enflammer les puissants syndicats de cheminots aux capacités de blocage importantes, Edouard Philippe s'est d'abord présenté en pompier venu éteindre un incendie potentiel. En commençant par définir "ce que n'est pas la réforme", le Premier ministre a tenté d'étouffer un à un plusieurs départs de feu. D'abord, "ce n'est pas moins d'argent pour le service public", a-t-il prévenu, promettant "10 millions d'euros par jour pendant dix ans pour l'amélioration du rail". Par ailleurs, "ce n'est pas une réforme des petites lignes", celles que le rapport Spinetta jugeaient "peu utilisées, héritées d'un temps révolu" et donc pas assez rentable. "Je ne suivrai pas le rapport sur ce point", a tranché Edouard Philippe. Pas question pour le gouvernement d'ouvrir un front de contestation au niveau des territoires, avec lesquels il a déjà des rapports tendus.
"Cette réforme n'est pas non plus la réforme des retraites des cheminots", a précisé le chef du gouvernement. Là encore, l'exécutif sait qu'il n'y a que des coups à prendre là-dessus et préfère renvoyer cette question à la réforme globale des retraites –ce projet de loi est pour la fin de l'année. Enfin, Edouard Philippe a désamorcé le sujet de la privatisation de la SNCF. "Elle est dans le patrimoine des Français et y restera. Il n'y aura pas de privatisation."
S'adresser aux Français plus qu'aux cheminots. Autant de précisions destinées à rassurer. Et plus précisément à rassurer les usagers. Car à l'exception de la question de la retraite des cheminots, c'est avant tout aux Français, plus qu'aux travailleurs de la SNCF, que s'adresse le gouvernement. En appuyant sur le fait que le système ferroviaire français est "de plus en plus cher" mais "fonctionne de moins en moins bien", Edouard Philippe sait qu'il ne fait que traduire le ressenti de nombreux voyageurs. Une étude de l'UFC-Que Choisir publiée il y a un an montrait ainsi que seuls 58% des usagers étaient satisfaits de la SNCF. En revanche, la privatisation ne fait pas l'unanimité, loin de là. En septembre dernier, moins de la moitié (47%) des personnes interrogées par l'institut Elabe souhaitaient que l'État cède ses actifs à la SNCF, l'un des taux les plus bas parmi toutes les entreprises testées. L'exécutif parie donc qu'il aura l'opinion publique avec lui.
Défendre la méthode par ordonnances. Et l'opinion publique, estime-t-il, ne lui pardonnera pas de se montrer hésitant sur la réforme du système ferroviaire, véritable serpent de mer. D'où, aussi, le risque pris de légiférer par ordonnances avant l'été. Edouard Philippe a résumé la stratégie très "et en même temps" du gouvernement : "aller vite sans escamoter le débat parlementaire."
C'était déjà l'élément de langage déployé pour défendre la réforme par ordonnances du code du travail, que l'exécutif pouvait également justifier par le fait qu'elle avait été promise par le candidat Macron. Ne pouvant ressortir cet argument, le Premier ministre en a cette fois trouvé un autre. "Les ordonnances Travail ont montré que cette méthode ne confisquait aucunement le dialogue", a-t-il martelé, rappelant les quelque 300 heures de débat parlementaire sur le projet de loi d'habilitation l'été dernier. "Mon ambition est même de remplacer les articles d'habilitation par les dispositions législatives définitives." Autrement dit, Edouard Philippe s'est fixé comme objectif que les parlementaires ne débattent pas d'un cadre trop général, trop flou, mais bien de mesures précises. Pas question, néanmoins, de ne pas trancher les questions les plus délicates. "Si le sujet s'enlise, en pâtissant de tentatives d'obstruction, si certains tentent de confisquer le débat ferroviaire, alors le gouvernement prendra ses responsabilités", a prévenu le chef du gouvernement.
Se positionner en réformateur contre l'ancien monde. Dans son discours, Edouard Philippe a d'ailleurs commencé à préparer le terrain et les esprits aux critiques qui s'annoncent. "Les syndicats annoncent le conflit, l'épreuve de vérité. Ce n'est pas mon approche. Il est temps d'oser la réforme que les Français savent nécessaire." Exactement comme au moment des ordonnances de réforme du code du travail, le gouvernement veut donc se poser en réformateur déterminé face à un "ancien monde" crispé. Jusqu'ici, cela a plutôt réussi à l'exécutif, qui a pu faire passer sans grande encombre des textes pourtant jugés sensibles, comme la réforme du code du travail mais aussi celle de la sélection à l'université.
Un contexte difficile. Mais des précédents fructueux et une communication au cordeau ne garantissent pas de nouvelles victoires. Parce que le contexte est différent, avec une réforme qui arrive plus tard dans le quinquennat, au moment où pèse déjà sur le gouvernement l'usure du pouvoir et que les enquêtes d'opinion se font plus sévères les unes après les autres. Parce que l'opposition politique venue de la gauche pourrait rencontrer l'opposition syndicale, ce qui n'avait pas été possible sur les ordonnances Travail. Et, enfin, parce que les détracteurs de la réforme ne manqueront pas, eux non plus, de roder leurs éléments de langage.