Sous le ciel nuageux de sa circonscription normande, Elisabeth Borne est venue discrètement contrer ce samedi le "vent fort" qui souffle sur sa réforme des retraites pour en éclaircir les points d'inquiétude, sans revenir sur la mesure d'âge qui cristallise les oppositions. "On va continuer à expliquer le projet parce que, je le redis, il y a beaucoup de désinformation", affirme la Première ministre à l'issue d'un échange sans anicroches à la mairie de Vire, dans sa circonscription du Calvados, avec des habitants invités par son suppléant Freddy Sertin.
Elle est allée d'abord sans presse le matin aux vœux du maire de la petite commune de Saint Rémy, Serge Ladan. Puis avec une escorte allégée et quelques médias, dont l'AFP, la cheffe du gouvernement s'est rendue à Vire, 17.600 habitants. Elle avait déjà participé, sans être annoncée, à une réunion publique à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), la veille de la première mobilisation contre la réforme, qui a réuni dans la rue entre 1,2 et deux millions de personnes. Quelques affichettes des syndicats CGT, Solidaires et FSU appelant à la deuxième journée de manifestations mardi parsèment les murs de la ville. Elisabeth Borne les croise entre une rencontre avec des militants Renaissance à la permanence de son suppléant et une réunion publique à la mairie.
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"Identifier des situations qui doivent être prises en compte"
Une sobriété qui contraste avec l'ancien Premier ministre François Fillon qui, en 2010, avait convoqué une conférence de presse au lendemain de la première journée de manifestations contre sa réforme des retraites. Devant une centaine d'acteurs locaux et d'habitants, Elisabeth Borne ne parle pas de projet "porteur de progrès social", mais admet que "quand on engage une discussion sur les retraites, on met en lumière qu'il y a des iniquités dans le système parce qu'il y a plusieurs types de régimes". Elle écarte cependant la possibilité d'un système de retraites à points, réclamé par trois intervenants dans la salle.
Élaboré par l'ancien hôte de Matignon Édouard Philippe, ce projet avait les faveurs de la CFDT avant d'être abandonné en raison de l'épidémie de Covid-19, mais il a "créé beaucoup d'inquiétudes" et reste "compliqué", dit-elle. Elisabeth Borne "ne doute pas qu'il y ait des choses qui aient pu échapper" au gouvernement dans la réforme et compte sur ces échanges, après les concertations sociales et politiques de l'automne, pour "identifier des situations qui doivent être prises en compte". La communication de l'exécutif sur la réforme a connu récemment quelques couacs, notamment quand le ministre des Relations avec le Parlement Franck Riester a admis que les femmes étaient "un peu pénalisées" par la mesure d'âge.
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"À mardi"
Répondant inlassablement aux questions, elle explique la différence entre le net et le brut des petites pensions ou promet à ceux qui ont commencé à travailler à 20 ans de "regarder s'il y a un ajustement à faire", tandis que ses interlocuteurs la félicitent de "s'attaquer à une montagne telle que la retraite". Personne dans la salle ne conteste le report de l'âge de 62 à 64 ans, qui cristallise les oppositions de l'ensemble des syndicats et de l'essentiel des oppositions. Or négliger les "mobilisations d'ampleur" contre la réforme des retraites "serait une faute" pour le gouvernement comme pour le Parlement, prévient le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, samedi dans un entretien au Monde.
"On ne prend pas cette réforme des retraites à la légère", assure la Première ministre en présentant ensuite ses vœux aux habitants de la très rurale commune de Saint-Manvieu-Bocage. "Pourquoi vous ne tenez pas compte des 70%" de Français qui ne veulent pas de la réforme, lui demande dans un échange improvisé un ouvrier de 58 ans, Yannick Desrues, qui préférerait "payer plus" de cotisations que "travailler plus longtemps". "Il y aura un débat au Parlement" qui débute lundi, lui répond la Première ministre. "A mardi !", lui lance un militant du syndicat Sud qui ira manifester et promet un "bras de fer". "J'entends ce que vous dites", dit la cheffe du gouvernement, mais "nous ne tomberons pas d'accord".