Une nouvelle séquence sous haute tension s'ouvre cette semaine à l'Assemblée nationale autour d'un texte d'annulation de la retraite à 64 ans soutenu par les oppositions. Il sera mercredi en commission puis le 8 juin dans l'hémicycle : en voici les enjeux.
Qui est au front ?
Le groupe indépendant Liot (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires) et ses 21 députés ont mis sur la table cette proposition de loi d'abrogation, inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée le 8 juin, journée dédiée aux textes du groupe ("niche"). Son patron Bertrand Pancher entend offrir par là une "sortie par le haut" à la "très grave crise sociale et politique" générée par la réforme des retraites. La proposition Liot a le soutien de la gauche, du RN et de certains LR. Le 8 juin, elle a une chance d'être adoptée en première lecture, étant donné la simple majorité relative dont dispose le camp présidentiel. D'où le branle-bas de combat en macronie, contre un texte taxé d'"irresponsable", "inconstitutionnel" et sans avenir.
"Ce n'est pas sérieux de vouloir avoir une séance de rattrapage en faisant semblant qu'on pourrait faire une réforme des retraites en quelques heures", a répété dimanche Elisabeth Borne.
Que contient le texte d'abrogation ?
Son article 1er prévoit de revenir à la retraite à 62 ans, en effaçant le calendrier prévu de relèvement de l'âge légal de départ à partir du 1er septembre (de trois mois par an jusqu'en 2030). Le calendrier de l'allongement de la durée de cotisation serait également révisé. L'article 2 propose une "conférence de financement du système de retraite" avant le 31 décembre, associant État, partenaires sociaux, citoyens et personnalités qualifiées. Il s'agirait de trouver d'autres solutions afin de garantir l'équilibre des régimes.
Enfin, astuce habituelle des parlementaires pour s'assurer de la recevabilité de leurs propositions : un dernier article programme en tant que de besoin une hausse de taxe sur les tabacs pour compenser les pertes de recettes pour la Sécu, du fait de ce texte de loi. Mais "ce gage sur le paquet de clopes ne tient pas", balaie une source gouvernementale.
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Qu'est-ce que l'irrecevabilité financière ?
Le camp présidentiel brandit depuis quelques semaines l'article 40 de la Constitution, qui dispose que les initiatives des parlementaires ne sont pas recevables si elles aggravent les charges publiques. Or le texte Liot a déjà franchi un premier filtre, en étant jugé recevable au moment de son dépôt par une délégation du bureau de l'Assemblée, traditionnellement assez souple.
En vue des débats mercredi en commission des Affaires sociales, sa présidente Fadila Khattabi (Renaissance) a reposé la question de la recevabilité à son homologue aux Finances, le LFI Eric Coquerel. Ce dernier donnera d'ici mardi soir sa réponse, qui sera une confirmation : il refuse de mettre à mal le "droit de l'opposition", de niveau constitutionnel lui aussi. Mais l'article 40 peut être mobilisé à tout moment, et les macronistes n'ont pas dit leur dernier mot.
Que peut-il se passer mercredi en commission et au-delà ?
Plus de 80 amendements ont été déposés par des députés de tous bords pour la réunion à 9h30. Dont des amendements de la majorité présidentielle pour supprimer l'article 1er, qui ont des chances d'être approuvés grâce à un rapport de force lui étant favorable en commission. La proposition de loi ainsi vidée de sa substance serait validée.
En vue de la séance du 8 juin, les oppositions devraient naturellement tenter de rétablir cet article clé abrogeant les 64 ans, via de nouveaux amendements. Les macronistes ont leur plan tout ficelé : ces amendements seraient eux déclarés irrecevables, par la présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet qui aura alors la main. Ainsi le 8 juin, il n'y aurait pas de possibilité de voter l'abrogation.
Quels autres scénarios ?
"Ça va être chaud", pronostique-t-on dans tous les rangs. La majorité présidentielle n'a pas la garantie que tout se déroule comme elle le souhaite, et une journée de mobilisation de l'intersyndicale le 6 juin va mettre la pression. Parmi les autres atouts dans sa manche, l'exécutif pourra jouer en séance la carte d'un autre article de la Constitution, le 44.3 permettant le "vote bloqué" : il consisterait à mettre aux voix le texte Liot sans son article 1er - texte ainsi à prendre ou à laisser. En outre, gouvernement comme majorité pourront user de l'obstruction pour empêcher les débats d'aller à leur terme. Avec pour objectif de tenir jusqu'à minuit, heure couperet dans l'hémicycle... mais au risque de braquer à nouveau les contestataires des 64 ans.
Même en cas d'adoption définitive au bout d'un parcours parlementaire à embûches, le texte Liot "serait in fine annulé par le Conseil constitutionnel", n'en démord pas Elisabeth Borne. Bertrand Pancher ne manquerait pas lui aussi, avec d'autres oppositions, de saisir les Sages.