Dix. C'est le nombre de fois que la Première ministre Élisabeth Borne a déclenché l'article 49.3 de la Constitution depuis juin 2022, afin de faire adopter le projet de loi de finances 2023 sans passer par les votes des députés de l'Assemblée nationale. Cette "arme constitutionnelle" pourrait de nouveau être utilisée pour faire passer le projet de loi sur la réforme des retraites, très contesté, et contre lequel l'intersyndicale se mobilise ce jeudi. Mais au-delà du 49.3, l'exécutif pourrait utiliser un autre article beaucoup moins connu de la Constitution : le 47.1.
Couper court aux débats à l'Assemblée
Jamais utilisé sous la Ve République, l'article 47.1 ne peut être utilisé que dans le cadre des "projets de loi de financement de la sécurité sociale", peut-on lire dans la Constitution. La réforme des retraites coche cette case, car le gouvernement a décidé de l'intégrer dans le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS).
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Concrètement, le 47.1 permettrait au gouvernement d'accélérer la procédure d'examen du texte par l'Assemblée nationale pour la faire passer au Sénat. "Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours", est-il écrit dans la Constitution. Au total, le Parlement a un délai de 50 jours pour se prononcer, sans quoi "les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance".
Dans les faits, cela permettrait au gouvernement de jouer sur le temps et de couper court aux débats à l'Assemblée nationale, alors qu'ils s'annoncent déjà agités. Dès lors, ce serait aux sénateurs de voter le texte, eux-aussi dans un temps imparti (15 jours comme le souligne la Constitution).
Faire voter le texte aux sénateurs, un avantage pour l'exécutif ?
Un avantage non négligeable pour l'exécutif car le Sénat, majoritairement composé d'élus Les Républicains, semble être en faveur d'un report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Lors de ses vœux aux sénateurs, le président LR du Sénat, Gérard Larcher, n'a d'ailleurs pas caché qu'il jugeait la réforme des retraites "nécessaire", même si elle "[suscitera] des mobilisations sociales et des débats passionnés". Avant d'ajouter que la réforme envisagée n'est "pas très éloignée de ce que propose avec constance et dans un esprit de dialogue la majorité sénatoriale depuis quatre années".
Et si le Sénat ne parvient pas à se mettre d'accord, l'article 47.1 permet au gouvernement de demander au Parlement de faire passer le texte par ordonnance. Mais rien n'est encore joué car, au-delà du Sénat, le Conseil constitutionnel pourrait rejeter le projet de loi, pour éviter tout "détournement de procédure", comme l'a souligné le président de l'institution, Laurent Fabius, devant les journalistes le 13 janvier dernier. "Nous ne voulons pas de détournement de procédure. Nous nous référerons à la sincérité du débat parlementaire", a-t-il déclaré, comme le rapporte Le Canard enchaîné. "Si un texte arrive au Sénat sans un vote préalable de l’Assemblée, c’est embarrassant."
Si l'exécutif décide tout de même d'utiliser le 47.1, le compte à rebours pourrait être lancé dès le 30 janvier prochain, jour où les députés commenceront à examiner le texte sur la réforme des retraites en commission. Quant aux débats à l'Assemblée nationale, qui s'annoncent déjà houleux, ils débuteront le 6 février prochain.