Il y aura donc bien un moratoire sur la hausse des taxes sur les carburants. Réclamée de longue date par les "gilets jaunes" et une partie de l’opposition, cette suspension momentanée, confirmée par Édouard Philippe mardi, a pour but d'apaiser les esprits alors que le fossé ne cesse de creuser entre le gouvernement et les manifestants en colère. Pendant six mois, toutes les parties prenantes du dossier vont débattre de la meilleure façon de sortir de la crise actuelle. Déjà utilisé par le passé, sur les essais nucléaires et l’écotaxe notamment, le moratoire donne le temps aux différents acteurs d’un dossier de remettre à plat l’utilité et les conditions d’applications d’une loi ou d’une mesure.
Des usages variés. Les moratoires, au sens strict du terme, ne sont pas légion dans l’histoire politique récente. Par exemple, en avril 1992, quelques mois après la fin de la Guerre froide, François Mitterrand avait instauré un moratoire sur les essais nucléaires pour juger leur pertinence dans un monde en train de se désengager du nucléaire militaire. D’une durée d’un an, le moratoire avait finalement été renouvelé trois fois. Aucun test n’a été réalisé pendant cette période mais la cohabitation de 1993 à 1995 avait quelque peu enterré les débats, avant que Jacques Chirac ne rompe le moratoire après son élection pour réaliser six nouveaux essais, les derniers avant la signature, en 1996, du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE).
Dans les faits, les moratoires ne sont pas toujours aussi formalisés et prennent souvent l’apparence d’une suspension. Ainsi va de l’interdiction de la culture du maïs OGM MON 810 de Monsanto, en vigueur depuis 2014. Pendant deux ans, cette interdiction a pris la forme d’un arrêté de l’État, alors que l’UE autorisait la culture de ce maïs. Depuis 2016, et l’annulation de la suspension par le Conseil d’État, l’interdiction est maintenue grâce à la transposition d’une directive européenne.
Le souvenir de l’écotaxe. Plus propice à la comparaison, la mise en place de l’écotaxe avait également fait l’objet d’un moratoire. Retardée par des problèmes techniques, cette taxe carbone réservée aux poids lourds devait entrer en vigueur en juillet 2013. Mais la contestation, menée par les Bonnets rouges et qui avait abouti à la destruction de plusieurs portiques, a conduit Ségolène Royal a décidé d’un moratoire sur l’écotaxe, en octobre de la même année. Finalement, la réflexion a tourné court et fin 2014, la ministre de l’Écologie renonce à son projet. La taxe poids lourds avait finalement été remplacée par une taxe de deux centimes sur le litre de gazole.
Plusieurs mesures concernées par le moratoire. Dans le cas de la fiscalité écologique, le gouvernement a opté pour un moratoire de six mois. Il suspend avec effet immédiat la hausse des taxes sur les carburants prévue pour janvier 2019 mais aussi celles envisagées pour les années à venir (d’ici 2022, elles devaient augmenter d’une vingtaine de centimes par litre de diesel et de dix centimes sur le litre d’essence). La remise à plat concerne aussi la convergence de la fiscalité du diesel avec celle de l'essence et l'alignement sur la fiscalité des particuliers de la fiscalité du gazole des entrepreneurs non routiers. Le nouveau contrôle technique, mis en place depuis mai, est également suspendu six mois.
Le gouvernement a en plus choisi de geler l’augmentation prévue pour début 2019 des tarifs de l’électricité et du gaz. Une décision qui rappelle le précédent de 2014 : Ségolène Royal n’avait pas tenu compte de l’avis de la Commission de régulation de l’énergie, qui fixe les tarifs réglementés de l’électricité, et divisée la hausse prévue à l’époque par deux. Mais le Conseil d'État avait alors estimé que cela privilégiait EDF au détriment de la concurrence et annulé cette décision, entraînant une surfacturation à retardement pour les ménages.
Toutes les options sont sur la table. Si le moratoire n’implique pas forcément une annulation des mesures ciblées au terme de l’échéance, l’exemple de l’écotaxe laisse planer le doute sur l’avenir des hausses de taxes sur les carburants. "Nous voulons dans ce laps de temps identifier et mettre en œuvre des mesures d'accompagnement justes et efficaces. Si nous ne les trouvons pas, nous en tirerons les conséquences", a expliqué Édouard Philippe, signe qu’une annulation pure et simple des hausses de taxes fait partie de l'équation.