Les débats sur la réforme des retraites ont été très mouvementés à l'Assemblée nationale vendredi, à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation espérée massive par les syndicats. Un tweet d'un député insoumis visant Olivier Dussopt a mis le feu à l'hémicycle, la séance a été momentanément suspendue et l'élu exclu pour 15 jours. L'auteur du message litigieux, Thomas Portes, s'est vu infliger la plus lourde sanction disciplinaire pour un député, la même que Grégoire de Fournas (RN), auteur de propos jugés racistes en novembre.
Ceint de son écharpe tricolore, l'Insoumis s'était mis en scène jeudi sur le réseau social, le pied posé sur un ballon à l'effigie du ministre du Travail, qui porte la réforme à l'Assemblée. Malgré les demandes du camp présidentiel, il a refusé vendredi de s'excuser, provoquant un tollé. La séance a été suspendue, le temps que le bureau de l'Assemblée, plus haute instance collégiale, se réunisse et demande son "exclusion temporaire" en raison d'un "outrage" ou d'une "provocation".
Monsieur le ministre @olivierdussopt retirez votre #ReformeDesRetraitespic.twitter.com/PXvgydps9i
— Thomas Portes (@Portes_Thomas) February 9, 2023
Cette sanction disciplinaire, validée par un vote assis-debout dans l'hémicycle, entraîne l'interdiction de paraître pendant quinze jours de séances, soit jusque mi-mars, et la privation de la moitié de l'indemnité parlementaire pendant deux mois. Défendant un "droit à la caricature et à la satire", les collègues de M. Portes ont vivement protesté. "Vous cherchez les Insoumis, vous allez les trouver", a lancé Danièle Obono à la majorité.
Le patron des Insoumis Jean-Luc Mélenchon a aussi défendu sur Twitter son député : "Après le pilori pour Thomas Portes, cheminot député, Macron va interdire tous les chamboule-tout dans les fêtes du pays". "Nous ne laisserons rien passer. Aucune menace, aucune intimidation", a campé Aurore Bergé (Renaissance). Marine Le Pen (RN) a dénoncé la "fuite en avant" de la Nupes.
"Instrumentalisé"
Thomas Portes n'en démord pas : "Je n'ai jamais fait d'appel à la violence". Il a déploré que son message ait été "utilisé et instrumentalisé par certains". "Je retirerai mon tweet le jour où vous retirerez votre réforme qui va sacrifier des milliers de gens", a défié l'Insoumis dans l'hémicycle.
Depuis le début du débat sur les retraites, les discussions sont très laborieuses. "Ce que nous voyons actuellement (...) avec nos invectives, avec nos insultes, avec du brouhaha, (n'est) pas digne de l'Assemblée nationale", a déclaré la titulaire du perchoir, Yaël Braun-Pivet.
"Nous ne nous tairons pas", a assuré la présidente du groupe LFI Mathilde Panot, dénonçant une sanction pour "intimider à un moment où le mouvement social est en train de se durcir". Et d'affirmer : "personne ici ne veut qu'il y ait une police des tweets".
Dans la majorité, certains suggèrent de "revoir l'échelle des sanctions". L'exclusion pour 15 jours a été proposée par Yaël Braun-Pivet pendant le bureau, faute d'autre outil pour éloigner temporairement Thomas Portes, a rapporté une participante.
Mais, au sein de la Nupes, si le tweet du député a été diversement apprécié, la sanction est jugée bien trop sévère. "Nous contestons le parallélisme qui a été fait" avec le cas de Fournas, a protesté Pierre Dharréville (PCF). La matinée à l'Assemblée s'était déroulée sans trop d'embûches. Par un vote relativement serré (181 voix contre 163), les députés ont validé l'article 1er du projet de loi, prévoyant l'extinction de la plupart des régimes spéciaux.
Dans la soirée, des tensions ont ressurgi lorsque Olivier Dussopt a demandé à l'écologiste Sandrine Rousseau de ne pas le "haranguer", ce que cette dernière a qualifié de "sexiste". "Je considère que c'est une insulte" et "cela fait beaucoup en matière d'attaques personnelles", s'est récrié le ministre. Quelque 16.000 amendements restent à discuter en une semaine et les échanges ne reprendront que lundi, au grand dam de la gauche.
"Respect"
Dans une rare prise de parole, à la veille d'une quatrième journée de manifestations, Emmanuel Macron a appelé les organisateurs de la contestation à conserver leur "esprit de responsabilité" afin que "les désaccords puissent s'exprimer, mais dans le calme, le respect des biens et des personnes, et avec une volonté de ne pas bloquer la vie du reste du pays". Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a peu goûté l'intervention : "Excusez-moi, mais bordel, on n'est pas responsables depuis le début ?". Le report de l'âge de la retraite de 62 à 64 ans, a-t-il rappelé, suscite "un profond rejet".
Les trois premières journées de mobilisation ont réuni sans incidents notables entre 757.000 personnes selon l'Intérieur (2 millions selon les organisateurs) et 1,27 million (2,5 millions). Samedi, les syndicats espèrent mobiliser ceux qui ne peuvent faire grève en semaine. L'intersyndicale a déjà programmé des journées d'action les 16 février et 7 mars, et se prépare à un long bras de fer. Le numéro un de la CGT Philippe Martinez évoque de possibles "grèves plus dures, plus nombreuses, plus massives et reconductibles".